Alcoolisme : les preuves de l’efficacité du baclofène sont là !

Par Hervé Ratel | 21/9/2016

Deux études françaises publient des résultats contrastés sur le baclofène comme moyen de sevrage de l’alcool. Décryptage d’essais dont les protocoles expérimentaux sont défaillants.

ALCOOL. Alors, le baclofène, efficace ou pas pour traiter l’alcoolisme ? Parues simultanément ces jours-ci, deux études françaises apportent enfin un début de réponse sur les bénéfices de ce médicament. Encore que ces réponses divergent grandement. Si, l’essai Bacloville coordonné par le Pr Philippe Jaury (Paris V-Descartes) annonce plus de 56% de réussite, le second, Alpadir, mené par le Pr Michel Reynaud (hôpital Paul Brousse, Villejuif) conclut à l’inverse que la molécule n’a qu’un effet modeste sur la baisse de la consommation. L’un dans l’autre, le résultat global apparait donc mitigé et laisse à penser que le baclofène ne fonctionne pas aussi bien que ses utilisateurs et son découvreur, feu le Dr Olivier Ameisen, l’ont proclamé.  C’est en tout cas le son de cloche que l’on peut entendre résonner dans les différents articles de presse parus ces derniers jours. Pourtant, à y regarder d’un peu plus près, c’est une toute autre analyse qui ressort de ces résultats. Beaucoup plus positive. Et à vrai dire, du jamais vu dans le monde de l’alcoologie !

Médicament datant des années 1970 et prescrit à l’origine pour traiter les spasmes musculaires, par exemple dans la sclérose en plaques, le baclofène trouve une nouvelle vie en 2004 lorsque le cardiologue Olivier Ameisen auto-expérimente la prise de la molécule à hautes doses pour traiter son alcoolisme. Il raconte son expérience quatre ans plus tard dans un ouvrage, Le dernier verre (Denoël), qui trouve un écho retentissant auprès de la communauté des malades. Trois dogmes majeurs autant que séculaires y sont sérieusement ébranlés. Le premier, que l’alcoolisme ne serait absolument pas une maladie de la volonté, mais un véritable trouble physiologique, comme le diabète, et par conséquent potentiellement curable par une molécule. Corollaire : si la maladie peut être soignée, elle peut donc être guérie, et là encore c’est du jamais vu en alcoologie. Enfin, encore plus dérangeant, il serait possible d’en guérir sans forcément rayer totalement l’alcool de ses tablettes, contrevenant ainsi au principe d’abstinence absolue prôné par les Alcooliques anonymes et l’ensemble des spécialistes. Avec le baclofène, c’est une notion inédite qui nait : l’indifférence à l’addiction. L’alcool cesserait d’être une obsession pour le malade.

Une mobilisation des malades

Ce résultat révolutionnaire aurait peut-être été accueilli beaucoup plus favorablement par les professionnels si le baclofène n’avait pas été un médicament générique… Aucun laboratoire ne voit alors un intérêt à relancer des études cliniques pour une nouvelle indication. Ce sont les malades qui prennent le problème à bras le corps. Se mobilisant d’une manière inédite, ils créent des associations, des forums d’entraide, mettent en place des listes de médecins volontaires pour prescrire à hautes doses une molécule alors non approuvée pour cet usage. Certains, plus fortunés, financent même des études cliniques afin de sortir la molécule de la clandestinité. De son côté, la communauté des alcoologues dans sa grande majorité est beaucoup plus circonspecte, et a regardé pendant longtemps d’un œil méfiant ce traitement qui contrevient à toutes les règles en vigueur.

Biologiste et frère du découvreur, Jean-Claude Ameisen, rappelle pourtant que « trente ans plus tôt, des études sur l’animal avaient montré l’intérêt du baclofène pour calmer le craving, la compulsion irrépressible à consommer qu’expérimente toute personne dépendante. C’est pour cela qu’il est difficile de comprendre le rejet de ce médicament de la part des alcoologues. »

Des doses trop faibles pour être efficaces

Encore plus incompréhensible semble être la poursuite d’études sur les bénéfices du baclofène à des doses inférieures à celles efficaces. « Le cœur du problème, c’est la dose, dit Renaud de Beaurepaire, psychiatre et auteur de Vérités et mensonges sur le baclofène (Albin Michel). Toutes les études prospectives aboutissent à une dose moyenne similaire, de l’ordre de 160 à 170 mg de baclofène par jour (soit de 16 à 17 comprimés) ». Sylvie Imbert, présidente de l’association Baclofène, en témoigne : « Nous avons réalisé une étude auprès des membres de notre forum en mai 2015 et avons obtenu 730 réponses. La moyenne des doses était effectivement de 173 mg ». Cela signifie que si la moitié des malades se satisfait d’une dose inférieure pour atteindre ce stade de l’indifférence, l’autre moitié a besoin d’une dose supérieure. « Dans ce cas, s’insurge Renaud de Beaurepaire, à quoi cela sert-il de mener des études comme celle d’Alpadir où le maximum prescrit, 180mg, est proche de la moyenne ? Dans cette étude, 65% des patients ont atteint le maximum autorisé de 180mg ! Cela signifie qu’ils auraient eu besoin de plus mais que l’étude n’a pas été capable de leur fournir et ils ont donc été considérés comme des échecs ! »

Vu sous cet angle, on comprend alors mieux la différence de résultats entre Alpadir et Bacloville (dont la dose maximale était, elle, fixée à 300mg/jour). Moins un problème d’efficacité de la molécule que de définitions de protocoles expérimentaux. « L’étude Alpadir est ancienne, raconte le docteur Benjamin Rolland, addictologue au CHRU de Lille. Elle a été initié en 2009. Conçue au départ sur la dose maximale de 90mg, elle a subi plusieurs réaménagements pour atteindre finalement les 180mg. Mais si le protocole était réécrit aujourd’hui, nulle doute que la dose maximale serait encore supérieure à ce palier. » « C’est bien simple, poursuit Pascal Gache, médecin addictologue à Genève, nous disposons à l’heure actuelle de quatre études de grande ampleur. Deux sont négatives et ont été pratiquées à faibles doses. Les deux autres, positives, sont à hautes doses… » Premier prescripteur historique de la molécule, Pascal Gache a depuis des années vu passer près de 500 patients dans son cabinet. Ses résultats se rapprochent de ceux de l’autre étude française Bacloville. « 1/4 des patients arrêtent parce qu’ils ne supportent pas les effets indésirables. Sur les 75% restants, les 2/3 sortent de l’alcool. Soit un score global de 50% de réussite. »

Avant la fin de l’année, une étude menée par l’Assurance-maladie sur les effets indésirables du baclofène à haute doses devrait sortir. Effets indésirables également scrutés par l’équipe de Bacloville et qui feront bientôt l’objet d’une nouvelle publication. Ces deux résultats devraient aboutir à une nouvelle demande d’AMM (autorisation de mise sur le marché) déposée par le laboratoire Ethypharm dans le traitement de l’alcool. Pour enfin disposer d’un médicament efficace dans le traitement d’une maladie qui fait près de 50.000 morts par an.

http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20160920.OBS8422/alcoolisme-les-preuves-de-l-efficacite-du-baclofene-sont-la.html