Chiffres officiels : le Baclofène est efficace près de six fois sur dix chez les malades alcooliques

3 septembre 2016 par Jean Yves NAU

Bonjour

Où l’on va reparler du baclofène, ce médicament passionnant et passionné. Du baclofène, de son efficacité, de son devenir. L’association Olivier Ameisen vient de diffuser un communiqué de presse qui fait état des  premiers résultats des quatre études cliniques européennes présentés aujourd’hui 3 septembre au Congrès mondial sur l’alcool et l’alcoolisme (ISBRA-ESBRA) qui se tient actuellement à Berlin.

Pour faire court ces résultats témoignent, selon cette association, « de l’efficacité du baclofène dans le traitement des troubles liés à l’usage de l’alcool ». Cette démonstration scientifique doit selon elle « balayer dorénavant les réserves antérieures sur le baclofène pour ouvrir enfin une offre de soin à la hauteur des besoins des trois millions de malades français ».

Réduction/abstinence

De quoi parle-t-on ? En pratique, l’objectif principal des quatre études cliniques (menées en France, Allemagne et Hollande) était de mesurer l’efficacité du baclofène dans la réduction de la consommation d’alcool et/ou le maintien de l’abstinence. « Si l’étude hollandaise à trop faibles doses et de courte durée affiche des résultats négatifs, pour deux autres, la supériorité du baclofène contre placebo est de plus de 20 points » résume l’association.

C’est la présentation de l’étude Bacloville qui était la plus attendue à Berlin par la communauté scientifique spécialisée.  Une étide financée par le ministère de la Santé ainsi que par un mystérieux don privé 1. « Nationale, pragmatique, en ambulatoire, randomisée en double aveugle (le médecin ne sait pas ce qu’il donne, et le patient ne sait pas ce qu’il prend), 60 médecins généralistes et 320 patients y ont participé, résume l’association Olivier Ameisen. Avec un maximum de 300 mg/jour, l’ascension posologique s’adaptait à chaque patient, avec pour objectif son indifférence à l’alcool et ce, sans obligation de sevrage préalable. » Bacloville affiche 56.8% de succès chez les patients prenant du baclofène contre 36.5% dans le groupe placebo. Ces 20.3 points de différence, associés à un risque que ces résultats soient dus au hasard de P = 0.004, prouvent l’efficacité du baclofène. »

Confraternels trébuchets

Ces résultats vont maintenant être soupesés, analysés, décortiqués, passés au trébuchet. Le baclofène alimente bien des passions et dérange quelque peu dans le paysage pharmaceutique traditionnel où il ne compte pas que des amis. Il n’en reste pas moins vrai que ces résultats marquent d’ores et déjà une étape importante dans ce qui constitue une saga – l’une de ces sagas dont la lutte contre la maladie alcoolique n’est pas avare.

Nous avons demandé un commentaire de ces premiers résultats au Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions :

« Le résultat de l’essai Bacloville ne  surprendra pas ceux qui connaissent l’engagement passionné des médecins qui y ont participé. Plus de  56%, soit vingt points de plus que le placebo…. un placebo, qui plus est, obtenant un score de …. 36% ! – ce qui souligne bien la magie de cet engagement ardent du médecin français prescripteur et de son patient. Nous pouvons être déjà soulagés par réalisme (et être tristes par utopie) de plus avoir à entendre ou lire que le baclofène traitait 100% des personnes concernées…. 

« 56% c’est bien ! C’est plus crédible et c’est  dans la continuité cohérente de la première  étude des Drs Jaury et de Beaurepaire présentée il y a trois ans au groupe ‘’T2RA’’ de la Direction Générale de la Santé. L’évaluation des effets secondaires « symptomatiques » (asthénie, somnolence, baisse de vigilance) continuera d’être importante à évaluer pour la qualité de vie. 

 « Au total voilà une bonne nouvelle, une nouvelle enfin crédible, avec la nécessité d’élargir « officiellement » l’accès à ce médicament et, surtout, de construire une évaluation épidémiologique  « simplifiée » sur une plus longue période. »

Situation ubuesque

Ce résultat remarquable de près de 60% résistera-t-il à l’immanquable épuisement progressif des passions ?  Les premiers pionniers prescripteurs dans cette indication toujours controversée garderont-il l’énergie qui leur a permis de résister à bien de quolibets ? L’important est moins dans la réponse à ces questions que dans la nécessité de définir un cadre légal de prescription.

La situation actuelle est à bien des égards ubuesque. « Les prescriptions ‘’hors-AMM’’ de baclofène ont augmenté de façon exponentielle grâce aux associations de patients et médecins et avec le relais des médias, rappelle l’association Olivier Ameisen. La CNAMTS annonçait en janvier 2015 que 200 000 patients alcoolo-dépendants avaient bénéficié de prescriptions hors-AMM de baclofène entre janvier 2008 et décembre 2014. Les données de vente d’OpenHealth permettent d’estimer que 50 000 patients sont actuellement en traitement.

Effets indésirables

Bénéficiant d’une RTU (Recommandation Temporaire d’Utilisation) depuis mars 2014, le baclofène s’oriente (enfin…) vers une Autorisation de Mise sur le Marché (laboratoire Ethypharm qui vise la commercialisation de sa spécialité courant 2017). Une AMM dans un paysage enrichi d’une révolution. C’est l’association Olivier Ameisen qui rappelle aujourd’hui que « la mise sur le marché d’un médicament doit être associée à l’instauration d’une pharmacovigilance par le titulaire de l’AMM ». Elle ajoute :

« La saga du baclofène montre que cette pharmacovigilance a débuté dès 2010 avec l’arrivée des premières associations. Leurs forums Internet patients et médecins sont en effet des espaces d’échanges, de conseils, en relais d’une médecine de qualité et de proximité. Leurs milliers de membres produisant au fil du temps une somme de données conséquente et fiable, ouvrent aux associations une connaissance fine quant à la nature, la gestion et la prévention des effets indésirables.

 «  Un guide et une vidéo issus d’enquêtes auprès de plusieurs milliers de patients sont ; à ce titre, disponibles depuis juin 2016 2.  D’autres initiatives ont suivi. Cette mobilisation inédite témoigne de la responsabilité associative à assurer la sécurité sanitaire d’un traitement innovant, souvent complexe, mais efficace. »

Les volutes du 14 juillet

Tout ce mouvement n’est pas sans points communs avec ce que l’on observe dans cette autre « prise de la Bastille » 3 qu’est la cigarette électronique et la « révolution des volutes ».  Pour « mieux comprendre et préparer l’avenir » une conférence est organisée le 17 septembre à l’université de médecine Paris-Descartes . Au menu : analyse et résultats complémentaires des quatre études, schéma thérapeutique, initiatives à l’étranger, état de la recherche, conséquences sociétales, débats, et discussions sont au programme de cette journée.

Les Pr. Didier Sicard et Jean Claude Ameisen apporteront leurs regards et leurs réflexions pour décrypter les défis engagés et à relever sur les plans médical, sociétal et éthique induits par cette découverte médicale de rupture. Celles et ceux qui s’intéressent aux révolutions regretteront de ne pas y avoir assisté.

A demain

1 Etude « Bacloville ».  Coordinating investigator: Pr Philippe Jaury (Department of General Medicine/ Paris Descartes); Scientific Committee: J.R.Le Gall, A.Benyamina, R. de Beaurepaire, H.Falcoff. S.Sidorkiewicz; Independent Data Safety Monitoring Board:  N.Simon, J.B.Trabut, L.Moachon; Chief Scientist: C. Le Jeunne.; Methodologists:  R. Porcher, L. Rigal, E. Perrodeau (J.Coste); Clinical Research Unit Paris Centre: J.-M. Treluyer (Chief Project S.Poignant); CRA: A.Bruneau, A.Clabaux; Pharmaceutical logistic (AGEPS) Chief Project S.Manin.

Sponsor: Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (Chief Project Y.Vacher).

Funding:  French Ministry of Health and JPM (private donation).

2  http://www.baclofene.org/wp-content/uploads/2016/06/GuideGestionEIBaclofene.pdf

http://www.baclofene.org/baclofene/les-effets-indesirables-du-baclofene

3 Un seul ouvrage lors de cette rentrée littéraire ? Les dés sont jetés : « 14 Juillet » d’Eric Vuillard. Editions Actes Sud. Virtuose. Vous n’en sortirez pas politiquement indemne. A lire, si possible avant les « primaires ». Ou après.

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