La Société française d’alcoologie soupçonnée de conflit d’intérêts

La tribune Par Jean-Yves Paillé  | 

La Direction générale de la santé et la Haute autorité de la santé ont été alertées sur un possible conflit d’intérêts de la Société française d’alcoologie. Influente auprès des médecins dans la lutte contre l’alcoolodépendance, cette dernière prônerait en priorité l’utilisation d’une molécule de Lundbeck, alors que plusieurs membres de l’association ont bénéficié d’avantages d’une valeur de plusieurs milliers d’euros de la part de ce laboratoire.

Une bataille pour trouver le meilleur traitement contre la dépendance à l’alcool se déroule entre plusieurs laboratoires pharmaceutique, à l’image de Lundbeck, Etypharm, ou encore D&A Pharma. Mais une guerre a également lieu en coulisse, entre professionnels de santé. Selon nos informations, un universitaire et professionnel de santé très impliqué dans le domaine de la lutte contre l’alcoolisme, et défenseur du baclofène, a alerté la Haute autorité de santé et la Direction générale de santé.

Selon lui, la Société française d’alcoologie (SFA), association reconnue d’utilité publique dans laquelle des professionnels des problèmes d’alcool et autres addictions font part de leur expertise, serait concernée par un conflit d’intérêts avec le laboratoire pharmaceutique danois Lundbeck. Contacté par La Tribune, le professionnel de santé nous a confirmé « avoir alerté les pouvoirs public ».

« J’ai considéré que la SFA n’avait pas une attitude objective et ce serait en raison de conflits d’intérêts. Cette dernière et Lundbeck ont des liens considérables. Or la SFA dit du bien de la molécule du laboratoire danois (le Selincro/nalméfène, NDLR) contre l’addiction à l’alcool », fait-il valoir.

Néanmoins, le plaignant n’attend pas d’action drastique de la Direction générale de la santé ou de la Haute autorité de santé, car cela « n’est pas inscrit dans leurs missions ».

La molécule de Lundbeck en première prescription

Le plaignant critique le fait que la Société française d’alcoologie prône la prescription du Selincro (nalméfène) « en première intention » pour un « objectif de réduction » de la consommation d’alcool dans ses recommandations de bonnes pratiques publiées en décembre 2014, et destinée aux professionnels de santé. Il ne comprend pas pourquoi une molécule comme le baclofène est préconisée en « deuxième intention » par la SFA

Pour le professionnel de santé, plusieurs études contredisent cette position de SFA. Il nous a notamment transmis un article de la revue scientifique américaine Plos Medecine daté de 2015, jugeant que « la valeur du nalméfène pour le traitement de l’addiction à l’alcool n’est pas établi. Au mieux, le nalméfène est efficace pour réduire la consommation d’alcool. » L’étude juge que l’approbation de la molécule était « controversée ».

Conflit d’intérêts?

En parallèle, le professionnel de santé reproche à la Société française d’alcoologie de percevoir des avantages conséquents du laboratoire Lundbeck. Il se réfère au site transparence.gov pour étayer ses attaques. Pour rappel, cette plateforme « rend accessible l’ensemble des informations déclarées par les entreprises sur les liens d’intérêts qu’elles entretiennent avec les acteurs du secteur de la santé »

Dans cette base de données, on constate que plusieurs membres de l’équipe rédactionnelle de l’organisation ont bénéficié d’avantages de Lundbeck en repas, frais d’hospitalité, de transport, ou d’hébergement pour une valeur de plusieurs milliers d’euros. Et parfois, plus de 15.000 euros, comme c’est le cas pour le président Mickael Naassila, ou encore le rédacteur associé Philippe Batel, tandis que les avantages octroyés par des laboratoires concurrents sont minimes. Toutefois, quelques membres de l’équipe rédactionnelle ont parfois touché plus d’argent de laboratoires concurrents (d’Etypharma, notamment), des sommes qui s’élèvent à quelques centaines d’euros au maximum.

Par ailleurs, le plaignant déplore les nombreuses conventions signée par des membres la Société française d’alcoologie avec Lundbeck, que l’on retrouve également sur le site transparence.gov. « Elles impliquent des sommes beaucoup plus fortes, qui ne sont pas indiquées », assure-t-il. Ces conventions représentent tantôt des participations à un congrès en tant qu’orateur, tantôt des collaborations scientifiques.

Enfin, le site de l’Ordre national des médecins destiné à afficher les liens d’intérêts des professionnels de santé recense un don de Lundbeck à la Société française d’alcoologie de 70.000 euros, daté du 17 juin 2013.

Des « déclarations d’intérêts compatibles »

Interrogée à ce sujet par La Tribune, la Direction générale de santé et la Haute autorité de santé n’ont pour le moment pas donné suite.

Contacté par La Tribune, le président de la SFA réfute tout conflit d’intérêts. Il fait valoir que « les liens d’intérêts sont déclarés », et qu’il en existe également « avec Merck-Serono, D&A Pharma, et Ethypharm ». Mickael Naassila assure en outre que « les recommandations sont établies avec le niveau de preuve de toutes les études scientifiques disponibles à un moment donné sur les traitements ».

Autre argument mis en avant par la Société française d’alcoologie pour se défendre de tout conflit d’intérêts: « Les déclarations d’intérêts ont été analysées par les membres du comité de pilotage et considérées comme compatibles avec leur participation au groupe de travail de cette recommandation de bonne pratique. »

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