L’Agence nationale de sécurité du médicament décide de baisser la dose journalière de Baclofène

Par Lison Gevers et Sciences et Avenir avec AFP le 26.07.2017 à 17h42

Coup dur pour les patients alcooliques traités sous baclofène. L’Agence nationale de sécurité du médicament a interdit mardi 25 juillet 2017 sa prescription à hautes doses, soulevant des indignations de la part des spécialistes de l’addiction qui appellent à une concertation.

 

Le traitement des patients alcooliques sera d’autant plus difficile que la dose de baclofène a été réduite et exclura ainsi une bonne partie d’entre eux qui ne pourront pas atteindre le seuil de l’indifférence, leur permettant de se soigner efficacement.

Le baclofène, à l’origine un relaxant musculaire, était autorisé depuis 2014 pour traiter la dépendance à l’alcool à des doses pouvant aller jusqu’à 300 mg par jour dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Le médicament avait récemment soulevé de nombreux débats, accusé d’être responsable de la mort de certains patients traités à fortes doses. Même si le lien de cause à effet est toujours controversé, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a tout de même pris la décision d’abaisser cette dose maximale.

« Pour sécuriser l’utilisation du baclofène chez les patients alcoolo-dépendants dans le cadre de la RTU, l’ANSM en modifie le protocole en réduisant la dose maximale prescrite dans la prise en charge de ces patients. A compter du 24 juillet 2017, la RTU ne permet plus de prescrire du baclofène à des posologies supérieures à 80 mg/jour », d’après son dernier communiqué.

L’ANSM rappelle par ailleurs que le traitement doit être réduit progressivement et non de façon brutale afin d’éviter tout risque de syndrome de sevrage. Les patients devront aussi être suivis de façon rapprochée, jusqu’à stabilisation de la posologie.

Certains spécialistes et patients pointent du doigt le bien-fondé de cette décision

Plusieurs médecins spécialisés ont protesté contre cette décision, reprochant un manque de « concertation avec les spécialistes de terrain » et l’accusant d’être mal adaptée, voire d’entrainer des rechutes dans l’alcoolisme. Cette décision a été prise suite à l’étude conduite par l’assurance maladie publiée début juillet 2017. Celle-ci concluait que le Baclofène utilisé à fortes doses (au-delà de 180 mg par jour) est associé à un risque de décès plus que doublé par rapport aux autres médicaments disponibles pour traiter l’alcoolisme, et à un risque d’hospitalisation accru de 50%. En particulier, le risque d’intoxication, d’épilepsie et de mort inexpliquée qui s’accroît avec la dose de Baclofène reçue.

Bernard Granger, professeur de psychiatrie à Paris conteste cette étude. A la suite de sa parution, il avait notamment réagi auprès de Sciences et Avenir : « Ces hospitalisations et décès sont répertoriés parce que les patients se soignent, rien ne dit que dans une telle pathologie et sans aucun traitement, il n’y aurait pas un nombre plus important encore de décès, sans qu’on le sache. » De plus, « cette décision pourrait mettre en danger des patients aujourd’hui bien équilibrés avec 150 mg et qui supportent bien le produit. »

Plusieurs points obscurs persistent. Le quotidien du médecin émet « de fortes réserves sur cette étude qui comporte des biais méthodologiques ».

Une balance bénéfice risque à considérer

« L’expérience clinique et les données scientifiques montrent que le Baclofène est actif à des doses en moyenne autour de 150 à 180 mg », expliquent les douze psychiatres et addictologues qui signent la tribune. Ils reconnaissent que le traitement présente « de nombreux effets indésirables », mais « pas aussi intenses et dangereux que ceux de l’alcool ». De plus, l’étude « ne permet pas de démontrer que les doses inférieures ou égales à 80 mg soient meilleures en termes de rapport bénéfice/risque ».

Pourtant, « on ne peut pas (…) ne pas tenir compte d’une étude de suivi portant sur un tel nombre de patients » (213.000), estime de son côté Michel Reynaud, président d’Actions Addictions, dans une autre tribune, publiée par le Quotidien du médecin. Mais « nous n’avons pas les moyens de nous passer d’un médicament efficace » contre l’alcoolisme, au vu de « la faiblesse de notre arsenal thérapeutique » dans ce domaine, juge le psychiatre. L’alcool reste la deuxième cause de mortalité évitable en France après le tabac, avec 49.000 morts par an. La balance vacille donc entre la maladie mortelle d’un côté et la prise d’un médicament et ses risques de l’autre…

Au vu des risques, la meilleure solution réside dans un suivi rigoureux des patients traités sous Baclofène à doses élevées, pendant, mais aussi après le traitement, ainsi qu’une formation des médecins sur les spécificités de ce médicament. Cette décision risque surtout d’entrainer une prise du médicament en dehors de la RTU et les patients ne seront donc plus remboursés.