« Le protocole d’augmentation des doses de baclofène préconisé par la RTU est beaucoup trop rapide » Dr de Beaurepaire

Par Jean-Philippe RIVIERE – 09 Mai 2014

Selon le Dr Renaud de Beaurepaire, psychiatre et chef de service à l’hôpital Paul Guiraud, Villejuif (Val-de-Marne), le protocole d’augmentation des doses de baclofène préconisé par la RTU n’est pas vraiment adapté à la pratique, que ce soit au démarrage ou lorsque certains seuils posologiques ont été franchis. 

Il nous décrit le protocole qu’il a mis en oeuvre et ce qu’il a constaté depuis 6 ans.

VIDAL : Que pensez-vous du protocole d’augmentation des doses de baclofène préconisé par la RTU ?
Dr Renaud de Beaurepaire : Ce protocole d’augmentation des doses est beaucoup trop rapide. Certains de mes collègues, qui ont un très mauvais esprit, ont dit « mais ils ont fait cela exprès pour que les patients aient des effets secondaires et ne tolèrent pas le traitement pour pouvoir triompher ensuite et dire vous voyez, c’est mal toléré« . C’est de très mauvais esprit, je ne le dirais pas. Simplement, le protocole d’augmentation des doses de la RTU n’est pas bon, il est trop rapide et il y aura pour les patients qui le suivent, beaucoup d’effets indésirables qui ne surviendraient pas si on utilisait un protocole d’augmentation des doses plus lent.VIDAL : Quel protocole d’augmentation des doses préconisez-vous ? 
Dr Renaud de Beaurepaire : Le protocole que je propose, que j’utilise, c’est l’augmentation d’1 comprimé tous les 3 jours et, s’il y a des effets secondaires, d’1/2 comprimé tous les 3 jours. Ce que propose la RTU, c’est le premier jour 1 comprimé et demi, et ensuite augmentation d’1 comprimé tous les 2 jours, ce qui est à mon avis beaucoup trop rapide.VIDAL : Que pensez-vous des paliers posologiques du baclofène préconisés par la RTU ? 
Dr Renaud de Beaurepaire : Il y a 2 paliers ou même 3, précisés dans la RTU. Le premier palier c’est 120 mg, 12 comprimés par jour donc. Il est dit dans la RTU qu’à ce palier-là, on doit demander le conseil d’un collègue : on doit téléphoner à un collègue expérimenté dans l’utilisation du baclofène et lui demander s’il pense que l’on peut continuer à augmenter les doses. Ce n’est pas très contraignant, mais c’est quand même un petit peu contraignant : cela se situe à des doses relativement faibles et ce sont encore des doses avec lesquelles on peut jouer, on peut travailler avec le patient. Ce qui devient plus compliqué, c’est quand les patients prennent eux-mêmes leur traitement en main, ce qu’on leur demande, et que l’on arrive à des doses plus élevées, car il y a la deuxième dose-seuil signalée dans la RTU, qui est la dose de 180 mg, 18 comprimés par jour.

Là, dans la RTU, et ce n’est plus une recommandation ou un conseil, c’est une obligation : il faut de demander avis non pas à un collègue mais à un collège de spécialistes, qui est à trouver dans les services hospitaliers, spécialisés en addictologie ou dans les CSAPA (Centres de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie en ambulatoire).

VIDAL : Comment franchir ce deuxième palier de 180 mg, en pratique ? 
Dr Renaud de Beaurepaire : On doit donc demander, mettons à un CSAPA, de réunir un collège qui va traiter du cas et décider de l’autorisation ou non, de continuer à augmenter les doses. D’abord, c’est d’une lourdeur invraisemblable : il faut comprendre qu’un traitement par le baclofène, cela s’augmente de façon progressive mais fixe, on augmente d’1 comprimé tous les 3 jours, c’est comme cela que je fais, il y en a d’autres qui font différemment mais en gros, c’est comme cela que cela se passe, c’est très fixe. On ne va pas dire à un patient à 17 comprimés, là vous arrêtez, on va réunir un collège de spécialistes qui va se réunir dans 3 jours, 1 mois, je ne sais pas quand et là, je vous dirais si vous pouvez continuer.

Les patients que je suis, à cette dose là, ont pris en charge leur traitement. Ils le conduisent eux-mêmes, souvent ils ne me demandent même plus mon avis. Ils font les choses comme ils les sentent en fonction des événements indésirables, en fonction de leur désir de s’en sortir, en fonction de leurs prises d’alcool, etc. Et c’est là qu’il y a une espèce de décalage entre une RTU, qui à mon avis ne veut que faire le bien, et la pratique sur le terrain.

VIDAL : Le dernier palier recommandé est la dose maximale de 300 mg/jour. Qu’en pensez-vous ? 
Dr Renaud de Beaurepaire : Il y a, j’en ai beaucoup et tous mes collègues en ont beaucoup, de patients qui prennent plus que 300 mg. Cela se fait pratiquement toujours de la façon que j’ai décrite tout à l’heure, c’est-à-dire que ce ne sont même pas les médecins qui ont décidé d’aller au-delà de 300 mg, ce sont les patients eux-mêmes, qui ont pris en main leur traitement, qui augmentent les doses comme on leur a dit de le faire et s’ils boivent toujours à 300 mg d’eux-mêmes, s’ils n’ont pas d’effets secondaires rédhibitoires, d’eux-mêmes ils continuent et souvent on leur dit écoutez, soyez prudent, là on est à 250, toi à 300, peut-être qu’il faudrait faire une pause. Non, ce sont eux qui continuent.

Ils continuent parce qu’ils savent qu’un jour ils deviendront indifférents à l’alcool et ils vont à des doses bien supérieures à 300 mg et nous les médecins, on n’a très peu de contrôle là-dessus. Donc, on n’a pas le droit d’inclure dans la RTU les patients qui prennent plus que 300 mg mais il faut savoir, et ça peut-être que concepteurs de la RTU ne l’avaient pas anticipé, que les médecins n’ont pratiquement aucun contrôle là-dessus, que ce sont les personnes qui le font.

VIDAL : Comment allez-vous faire alors lorsqu’il faudra plus de 300 mg par jour de baclofène ? 
Dr Renaud de Beaurepaire : Je ne sais pas ce que l’on va faire. On est dans le cadre de la RTU, on est partis et on augmente progressivement, à 120 mg on a téléphoné à un collègue, on lui a demandé s’il était d’accord, à 180 mg on a appelé le CSAPA voisin et ils nous ont dit qu’ils avaient fait leur collège et qu’ils avaient été d’accord et on continue, et que va-t-on faire quand on sera à 300, et que le patient dira « écoutez, moi cela m’est égal votre truc, mois je sais que je vais aller plus loin, je vais aller jusqu’à ce que je sois indifférent« … : que va-t-on faire ? On va sortir le patient de la RTU ? On va mentir à la RTU en disant écoutez, il est toujours à 300 alors qu’il sera à 350 ? Que va-t-on faire ? Je ne sais pas.

VIDAL : A quel point la dose efficace de baclofène varie-t-elle en fonction des individus ? 
Dr Renaud de Beaurepaire : L’amplitude, elle est immense, elle va de 1 comprimé par jour -j’ai même lu récemment une patiente à un demi-comprimé par jour- à 40, 45, 50 comprimés par jour. D’après les résultats que j’ai, c’est une courbe assez gaussienne. C’est-à-dire qu’il y a très peu de patients qui sont guéris à 1 ou 2 comprimés, très très peu, il y en a très peu qui ont besoin de plus de 40 ou 50 comprimés et la majorité a besoin entre 120 et 180..  Cela se juge très facilement, je veux dire la dose nécessaire, ce sont les patients qui vous disent. Soit c’est progressif, soit c’est brutal : brutal cela veut dire qu’à un changement de dose -ils passent de 15 à 16- survient une indifférence à l’alcool.

Propos recueillis le 27 mars à l’Hôpital Paul Guiraud (Villejuif).

Voir aussi sur Vidal.fr : 
– « Baclofène : la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) a été accordée. Modalités pratiques » (14 mars 2014)
– « Baclofène : analyses et recommandations du Comité technique de Pharmacovigilance de l’ANSM » (29 août 2013)
– « Baclofène et sevrage alcoolique : les essais cliniques se poursuivent » (29 mars 2013)

Sources : VIDAL
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