Une balance bénéfice / risque du baclofène à reconsidérer ?

Les études conduites par l’Assurance maladie (Cnamts) en collaboration avec l’Agence de Sécurité du Médicament et l’Inserm entre 2009 et 2015 montrent que lors de l’utilisation du baclofène à hautes doses, le risque d’hospitalisation augmente de 50%. Faut-il s’en inquiéter ?

Traitement de l’alcoolisme, le baclofène se retrouve sur la sellette suite à un rapport de l’ANSM pointant sa dangerosité à fortes doses. Selon l’étude, au delà de 180mg par jour, il y a un sur-risque d’hospitalisation et le risque de décès se retrouve multiplié par 2,27. Le rapport met en perspective les données de l’assurance maladie recensées par des pharmaco-épidémiologistes et des statisticiens. Depuis 2014 le médicament a une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Il a été constaté un usage important du baclofène en dehors de son utilisation habituelle. Le but est donc d’encadrer les pratiques autour du baclofène en ayant une meilleure visibilité du produit. Médicament de base utilisé pour des traitements neurologiques, il est principalement utilisé pour traiter l’alcoolo-dépendance.

Une étude que certains utilisateurs du médicament prennent avec des pincettes : « Nous sommes, nous utilisateurs du baclofène, très perplexes devant l’étude de l’ANSM qui ne correspond en rien à l’expérience que nous avons sur le terrain depuis près de dix ans avec les malades et les prescripteurs », explique Marion Gaud, chargée de communication du réseau AUBES, un forum qui vise à dépasser sa dépendance grâce au baclofène.

A partir de quelle dose le risque est-il accru ?

D’après une comparaison de l’ANSM, en deçà de cette dose de 180 mg, le baclofène n’est pas plus dangereux que les autres médicaments utilisés pour traiter la dépendance à l’alcool. Cependant, « c’est la question de la prescription qui se pose et de l’augmentation (et de la répartition) des doses, qui peut, si elle est trop rapide, induire beaucoup d’effets indésirables. Nous connaissons beaucoup de patients ayant pris des doses au delà 300 mg, bien au-delà même, mais qui ont pu les supporter parce qu’ils avaient un suivi sérieux », précise Marion Gaud.

La dépression, les apnées du sommeil, les troubles neurologiques ou les insuffisances rénales font partie des effets indésirables. Plus la dose est importante, plus le risque d’intoxication, d’épilepsie et de mort inexpliquée augmente. Il faut donc contrôler un maximum car c’est un traitement sédatif qui peut poser des problèmes de sécurité. Sylvie Imbert, ancienne malade et aujourd’hui présidente de l’association Baclofène explique : « Pour moi il n’y a pas de seuil dangereux selon les personnes, il y a des comportements dangereux qui peuvent d’ailleurs être de la responsabilités des médecins ». En effet, le médicament a des spécificités bien particulières, il doit s’adapter au cas de chaque patient et nécessite une connaissance de la part du praticien et un suivi sérieux.

Ainsi, une consommation d’alcool importante durant le traitement à hautes doses décuple les risques, selon Benjamin Rolland, médecin et prescripteur (CHRU Lille). Il faut donc avoir une vigilance accrue lors de l’utilisation de fortes doses.

« Il faut faire du sur-mesure pour chaque patient »

L’alcoolisme est une maladie d’une gravité variable selon les malades. Il a été montré dans plusieurs études que plus les patients sont malades, plus la dose de baclofène nécessaire est élevée. On peut donc supposer que c’est chez eux que les effets indésirables (dont les décès) sont les plus fréquents. Or, il n’y a pas distinction entre patients plus ou moins malades. Il faut donc prendre en considération le degré de la maladie. Cette étude montre seulement que les patients les plus malades sont ceux qui meurent le plus. « Dire que c’est le baclofène qui est la cause serait une erreur », concluent Renaud de Beaurepaire et Bernard Granger, tout deux médecins et prescripteurs de baclofène à Paris. « Ces hospitalisations et décès sont répertoriés parce que les patients se soignent, rien ne dit que dans une telle pathologie et sans aucun traitement, il n’y aurait pas un nombre plus important encore de décès, sans qu’on le sache. » En plus du degré d’alcoolisation, d’autres critères pourraient êtres pris en compte comme l’obésité ou le tabagisme.

« Le cœur du problème, c’est la dose », dit Renaud de Beaurepaire. En effet, contrairement à d’autres médicaments, le palier ou le médicament devient efficace et induit ce sentiment d’indifférence vis-à-vis de l’alcool est variable d’un patient à un autre. Les règles habituelles lors d’une prise de médicament comme le poids, le sexe ou l’âge ne peuvent pas être prises en compte. « Les études bien faites montrent de façon unanime que la dose de baclofène est variable pour chaque patient, et que la moyenne des doses efficaces est entre 160 et 180mg/j. Personne ne conteste que les risques d’effets indésirables graves augmentent avec les doses. Mais on est face à une maladie qui n’a pas de traitement efficace en dehors du baclofène (l’absence d’efficacité des autres traitements a aussi été très bien démontrée). On est donc dans une situation de bénéfice/risque. C’est à chaque prescripteur, avec l’avis de chaque patient bien informé sur les risques, de décider du traitement en fonction de ce rapport », explique Renaud de Beaurepaire. « Il faut faire du sur-mesure pour chaque patient », conclut Bernard Granger.

Un traitement efficace

Ce médicament a notamment été popularisé grâce au livre « Le Dernier verre » d’Olivier Ameisen paru en 2008. Ce cardiologue faisait part de son expérience en expliquant que ce médicament avait supprimé son envie de boire. « L’alcoolisme est une maladie épouvantable et les traitements existants comme le disulfirale, l’acamprosate et le naltrexone ne marchent pas. Le baclofène, bien prescrit (ce qui n’est pas forcément très simple) est efficace et peu dangereux. De façon personnelle, je n’ai pas hésité une seconde à prendre ce médicament. Et pourtant ma vie n’était pas en danger, mais je n’en pouvais plus de cette perte de liberté… », explique Sylvie Imbert.

Au cours des six premiers mois, seuls 10% des patients l’ont pris sans l’interrompre. Comme pour les autres médicaments indiqués dans la dépendance à l’alcool, plus de 4 patients sur 5 débutant un traitement avec le baclofène l’arrêtent définitivement au cours des six premiers mois d’utilisation au vu des effets secondaires.

« De plus, l’étude repose sur les ordonnances présentées au remboursement du médicament, ce qui n’est qu’une approximation – on sait l’écart habituel entre la prescription et le traitement effectivement pris ou non pris par le patient -, et la comparabilité des groupes est loin d’être assurée notamment en ce qui concerne la gravité de l’addiction et les comorbidités psychiatriques, deux facteurs confondants importants », nuance Bernard Grange

L‘alcoolisme tue plus de 120 personnes par jour et 49.000 par an

L’étude met tout de même l’accent sur des points importants. « Des précautions sont indispensables pour les fortes doses et les médecins doivent être formés à une juste prescription, notamment à l’augmentation progressive des doses et à l’adaptation de leurs horaires pour chaque patient », explique Bernard Granger. Le baclofène reste un médicament puissant avec des effets indésirables, comme bon nombre de médicaments. Cette étude va donc mener à une révision de la RTU en diminuant le dosage maximum, excluant donc mécaniquement une bonne partie des malades qui nécessitent une dose de baclofène supérieure. Le médicament n’ayant pas d’autorisation de mise sur le marché dans le cadre où il est utilisé, l’ANSM souhaite un encadrement plus important pour des raisons de sécurité.

L‘alcoolisme tuant plus de 120 personnes par jour et 49.000 par an, il faudrait donc considérer cette balance bénéfice/risque entre la maladie mortelle et la prise d’un médicament et ses risques. Les médecins doivent se former et à ce sujet, le RESAB (une associations de médecins) organise des formations auxquels des patients experts participent. Il faudrait surtout faire en sorte que le patient soit surveillé de près par un spécialiste pendant le traitement, mais aussi dans les quelques mois et années qui suivent l’arrêt du traitement de façon à avoir un suivi plus complet.

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/des-etudes-ont-ete-conduites-sur-les-risques-du-baclofene-a-hautes-doses_114700