Baclofène et alcoolo-dépendance, un bouleversement à retardement ?

Thèse de médecine soutenue publiquement le 5 décembre 2014 par Paul MONGUILLOT

Lorsqu’une évolution thérapeutique se produit, elle se heurte au doute méthodique (1) des scientifiques, plus encore si elle bouscule les habitudes de pensée et les fondements sur lesquels s’appuient les pratiques.
L’histoire de la médecine est jonchée de découvertes qui ont renversé les dogmes du moment, dont certaines ont engendré de vifs débats au sein du corps médical et de véritables controverses au sein de la population générale, soit parce qu’elles touchaient à la sphère culturelle et sociale, soit parce qu’elles remettaient en cause l’organisation même du système de soins.

On peut citer 3 exemples récents de bouleversements idéologiques médico-socio-culturels:

– La contraception : en France en 1960, alors que la propagande anticonceptionnelle est interdite par la loi et que la profession médicale est globalement hostile à l’utilisation des contraceptifs, le Conseil de l’Ordre estimant que « le médecin n’a aucun rôle à jouer et aucune responsabilité à assumer dans l’appréciation des moyens anticonceptionnels, dans les conseils au public, ou les démonstrations relatives à ces moyens », le Dr Henri FABRE avec un groupe de militants décide d’ouvrir en juin 1961 le premier centre d’information et de prescription contraceptive, puis, contre le courant de pensée dominant, 120 médecins favorables à la diffusion de la contraception créent en 1962 le « Collège médical du Mouvement Français pour le Planning Familial » (MFPF). L’adhésion de plus en plus de femmes au MFPF et la fréquentation croissante des centres qui voient le jour, montrent le réel besoin des couples dans ce domaine et l’inadéquation des lois. Le MFPF commence à diffuser pilule et stérilet. Certains médecins multiplient les articles sur le sujet sans toutefois être reconnus par leurs pairs et il faudra attendre 1966 pour que le Conseil de l’Ordre admette que « le médecin n’a pas à s’en désintéresser (de la contraception) s’il veut la pleine santé et l’épanouissement des familles dont il est médicalement responsable » (2)(3).

– L’interruption volontaire de grossesse : l’histoire de sa légalisation en France dans les années 70 est marquée par de violentes luttes qui ont amenées la France à modifier sa législation du tout au tout, d’abord de manière très répressive, puis dans le sens d’une libéralisation. Selon le sociologue F.-A. ISAMBERT, cela illustre comment un geste médical peut être « un objet multidimensionnel et conflictuel, point de convergence des tensions entre conceptions antagonistes de la vie, entre le droit, la morale et les moeurs, entre des éthiques sexuelles contradictoires, entre des conceptions opposées du statut de la femme, de la rationalité des décisions procréatives, de l’institution médicale » (4). En quarante ans, l’opinion française a elle-aussi changé sensiblement puisque, selon un sondage Ifop, elle est passée en 1974 de 38% de personnes se disant favorables à l’IVG, à 75% en 2014 (5) !

– Les traitements de substitution opiacés : à la fin des années 1960, devant l’importance grandissante du phénomène de la drogue en Europe Occidentale, quelques médecins français, informés du développement des traitements de substitution à la méthadone aux Etats-Unis, entament des prises en charge expérimentales de patients toxicomanes par ce biais. Ils soulèvent de vives polémiques car à cette époque les toxicomanies constituent un phénomène émergeant et passablement méconnu, pour lesquelles le législateur s’est aligné sur les politiques répressives mises en place à l’échelle internationale. Les soignants qui n’avaient jusqu’à-là que le sevrage et l’abstinence comme réponses au problème restent majoritairement opposés aux traitements substitutifs opioïdes, arguant de la dangerosité d’une banalisation de la « drogue propre ». Au cours des années 1980, le monde découvre le virus du SIDA, et débute alors une bataille administrativo-juridique au sein du corps médical, entre les opposants à la pratique des traitements de substitution qui s’appuient sur la législation en vigueur, et les partisans de plus en plus nombreux à ces traitements qui constituent une manière concrète de limiter le recours aux injections et donc de propager l’épidémie. Ce ne sera que dans les années 1990 que sera enfin reconnue l’efficacité des traitements de substitution des toxicomanies aux opiacés, concrétisée par la mise sur le marché de la méthadone en 1995 et du Subutex© en 1996, dont la pratique à grande échelle a permis de circonscrire fortement les risques en terme de Santé publique, mais également d’abaisser toutes les conséquences sociales et judiciaires connexes (6) (7) (8).
Armés de courage et de conviction, quelques médecins se sont ainsi engagés dans des chemins de traverse, bravant l’opinion publique et l’avis général de leurs pairs, ce qui n’a pas manqué de leur valoir, comme le chantait un célèbre poète sétois, une « mauvaise réputation » (9) …
La suite : Baclofène et alcoolo-dépendance, un bouleversement à retardement ?