Baclofène: son efficacité prouvée n’est (toujours) pas au goût de tous

Paris Match ||Mis à jour le

Baclofène: son efficacité prouvée n’est (toujours) pas au goût de tous

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Renaud de Beaurepaire, psychiatre à Villejuif, prescrit du baclofène à ses patients alcooliques depuis 2006.

L’efficacité du baclofène sur l’alcoolisme est scientifiquement démontrée, comme en attestent les premiers résultats de trois études européennes sur quatre présentées au congrès mondial de l’alcoologie, samedi, à Berlin. Malgré les réticences persistantes de certains spécialistes, le psychiatre Renaud de Beaurepaire se réjouit que la preuve soit enfin apportée sur ce médicament dont il constate l’efficacité révolutionnaire sur ses patients depuis 2006. Interview.

Paris Match. Quel est votre sentiment aujourd’hui alors que l’efficacité du baclofène sur l’alcoolisme vient d’être officialisée par les résultats de plusieurs études?
Dr de Beaurepaire. Mon sentiment est que si les médecins, dès 2006, avaient fait ce qu’ils auraient dû tous faire, à savoir prescrire sérieusement cette molécule et constater par eux-mêmes son efficacité, les grandes études auraient été presque inutiles. D’un point de vue clinique (pas besoin de grande étude pour guérir des patients)  et même moral (l’alcoolisme tue, il est irresponsable d’attendre dix ans pour traiter des patients en train de se détruire), elles n’étaient pas indispensables. Mais d’un point de vue réglementaire, pour obtenir un cadre légal de prescription, il était nécessaire d’avoir ces essais.

Depuis que vous constatez l’efficacité de cette molécule sur vos patients, vous dénoncez avec d’autres médecins les freins à son autorisation dans le traitement de l’alcoolisme. Qu’est-ce qui a permis le lancement des études aujourd’hui?
Ce sont les associations de malades avant tout. Et quelques médecins qui la prescrivaient. Les anciens alcooliques, délivrés de leur addiction, se sont retrouvés sur des forums Internet, ont témoigné de leur guérison, et ont diffusé le message : « Le baclofène nous a guéris. Arrêtez de le bloquer et d’en dire les pires choses ». De plus en plus de patients se sont retrouvés sous baclofène. Nos autorités de santé se sont affolées quand elles ont réalisé que 100 000 personnes étaient sous traitement.  Elles ne pouvaient pas rester indifférentes. Elles ont donc lancé une étude et encadré la prescription du baclofène (RTU) en attendant les résultats.

Les réticences des addictologues, pour des raisons obscures, ne vont pas s’arrêter aujourd’hui

Cette étude promue par l’Ap-Hp (essai Bacloville), la plus rigoureuse des quatre études cliniques présentées au congrès de Berlin, conclut que le baclofène est efficace sur près de 6 patients sur 10. L’accueil est toutefois mitigé du côté de certains spécialistes qui ont commenté ce résultat dans la presse…
Les réticences de certains médecins opposés depuis longtemps au baclofène – en particulier les grands universitaires alcoologues, pour des raisons obscures, ne vont pas s’arrêter aujourd’hui. Il faut voir les réactions des addictologues Michel Reynaud ou Philippe Batel suite à ces résultats! Globalement, on continue de dire : ça marche un peu… mais pas tant que cela. On dit que le baclofène n’est pas le miracle attendu, qu’il marche aussi peu que les traitements conventionnels (dont je rappelle que les taux de succès avoisinent les 10%, c’est-à-dire sont ridiculement bas)… On minimise totalement les résultats des études avec le baclofène, en parlant d’une molécule peut-être utile, mais qui ne marche pas vraiment…

Les taux de succès sont constants: le baclofène est efficace sur deux tiers des patients

Est-ce que l’étude Bacloville confirme les résultats que vous avez sur vos patients sous baclofène ?
Oui. Depuis 2008, j’ai les mêmes résultats que Bacloville et Baclad, l’étude allemande. J’ai les mêmes chiffres que le Pr Granger, psychiatre à Cochin, dans son étude prospective. La constance des taux de succès est assez extraordinaire! Le baclofène est efficace sur environ deux tiers des patients. On n’a jamais eu un tel résultat avec les autres traitements.

Les résultats d’une nouvelle étude sur les effets indésirables du baclofène, commandée par l’Ansm (Agence du médicament) à l’Assurance maladie, sont attendus fin 2016…
On a tellement diabolisé les effets indésirables du baclofène que l’Ansm a pris peur. On lui a fait peur. Alors que la pharmacovigilance autour de cette molécule existe depuis quarante-deux ans ! C’est un relaxant musculaire prescrit par les neurologues depuis 1974. Des dizaines de millions de personnes dans le monde ont pris du baclofène pendant des dizaines d’années. Avec des systèmes de pharmacovigilance présents partout dans le monde. Aujourd’hui, on a l’impression que l’on découvre les effets indésirables du baclofène, mais Ils sont décrits, répertoriés, et quantifiés depuis quarante ans. Par exemple, on dit que le baclofène donne des idées suicidaires. Mais ce n’est pas vrai! Si tel était le cas, on le saurait. N’oubliez pas que les alcooliques ont 100 fois plus d’idées suicidaires que la population générale. Ce n’est pas la baclofène qui donne des idées suicidaires, c’est l’alcoolisme !

Est-ce qu’on connaît ses effets indésirables, y compris aux doses élevées que doivent souvent prendre les patients alcooliques?
Dès les années 80, les neurologues ont publié qu’ils donnaient de hautes doses de baclofène, jusqu’à 300 mg (30 comprimés par jour), souvent chez les adolescents d’ailleurs. Il n’y a rien de nouveau!

Des milliers de témoignages d’anciens malades existent! Il faut en tenir compte

L’ensemble des données recueillies par les associations de patients depuis 2011 constituent-elles aussi une expertise sur le traitement baclofène?
Des milliers de personnes rapportent elles-mêmes depuis plusieurs années sur des forums les effets indésirables du baclofène dans le traitement de leur alcoolisme. Elles décrivent en détail les effets de ce traitement, elles racontent leur guérison. Oui, c’est une véritable expertise. C’est d’ailleurs unique dans l’histoire de la médecine! Absolument inouï! Ce sont les nouvelles technologies qui ont permis cela. Il faut en tenir compte. Des milliers de témoignages! La parole des malades est ce qui compte le plus.

Etypharm, le laboratoire qui a racheté les données des études françaises, projette une demande d’Amm (Autorisation de mise sur le marché) pour un lancement en 2017
C’est ce que l’on entend, j’espère que c’est vrai. Une grande question est de savoir dans quel cadre cette Amm sera construite.  Compte tenu des craintes de l’Ansm, des idées émergent, par exemple, que seuls les spécialistes auraient le droit de prescrire. C’est le risque de voir progressivement se construire un système qui entrave une totale liberté dans la prescription.

Cette molécule est prescrite en majorité par les médecins généralistes…
… Et ce serait totalement absurde qu’ils n’aient plus le droit de le faire. Si la prescription est demain réservée aux addictologues, le baclofène se trouvera entre les mains de médecins qui, jusqu’à présent, ont montré qu’ils n’aiment pas ce traitement, étant donné que la grande majorité d’entre eux ne le prescrivent pas ou ne savent pas le prescrire correctement.  Ce qui est hallucinant ! Quand on connait la mortalité liée à l’alcool, c’est même criminel de leur part de ne pas donner de baclofène ou de mal le prescrire à leurs patients alcooliques. Compte tenu des réticences actuelles, il va falloir faire un gros effort d’information et de formation à l’intention des médecins qui souhaitent prescrire du baclofène. Il est important d’être très proche du patient lors de la conduite du traitement,  en particulier lorsque apparaissent des effets indésirables. Cela demande du temps. Il faut un engagement très fort du médecin et du malade. Ce n’est pas prescrire des antibiotiques !  C’est une médecine prudente, qui travaille en profondeur et qui demande du temps.

http://www.parismatch.com/Actu/Sante/Baclofene-la-demonstration-de-son-efficacite-n-est-toujours-pas-au-gout-de-tous-1064821