Editorial du Flyer 69 : Baclofène et Santé Publique

Pas de changement concernant la RTU de baclofène. Dominique Martin a annoncé depuis Biarritz (congrès ATHS) qu’il maintiendrait la mesure amenant à limiter la posologie du baclofène à 80 mg par jour, malgré les protestations de l’ensemble du milieu de l’alcoologie. Posologie que tout le monde considère comme inefficace pour la plupart des patients ! Donc on renvoie, comme aux meilleures heures de l’histoire du baclofène, les médecins à la prescription hors-AMM et hors-RTU ! Les pharmaciens, quant à eux, hésitent entre la prise de risque de continuer à délivrer les ordonnances avec des posologies supérieures à 80 mg, en l’absence de protocole de réduction, et la crainte légitime de ne pas être remboursés de l’avance des traitements qu’ils délivrent aux patients. A notre connaissance, aucune communication n’a été faite aux caisses de ne plus rembourser les prescriptions de baclofène, quelle que soit la posologie. Cette crainte semble infondée.

Hypocrisie totale, absence de vision « Santé Publique » de ce dossier, approche thérapeutique à risque zéro malgré le fardeau que représente l’alcoolisme et ses conséquences dramatiques pour les individus, leurs entourage et la société ?

Pourtant, l’efficacité du baclofène ne fait guère de doute, comparée aux autres traitements existants (malgré la difficulté de l’établir clairement dans les études contrôlées, souvent trop éloignées de la vraie vie). Tous les cliniciens qui l’utilisent correctement sont de cet avis. Ceux qui disent qu’il n’est pas efficace ne l’ont jamais prescrit (soit parce qu’ils ne sont pas médecins, soit parce qu’ils sont ‘contre’ le baclofène depuis toujours [pour des raisons parfois étranges]). Ou soit parce qu’ils l’ont mal prescrit (posologie trop basse ou augmentée trop rapidement), ce qui en font des détracteurs ‘expérimentés’ ! Autant dire, les plus redoutables…

Par contre, son efficacité en matière de « Santé Publique » ne fait aucun doute ! C’est un médicament qui fait venir les patients dans le système de soins, mieux que n’importe quelle autre option thérapeutique. Des patients primo-accédants au soin de leur addiction et naïfs de tout traitement, auto-référés (c’est-à-dire de leur propre initiative), et qui, 6 mois plus tard, sont 3 à 4 fois plus nombreux  à être toujours sous traitement que les patients bénéficiant d’autres approches thérapeutiques*. Malheureusement, les résultats de cette étude ont été beaucoup moins commentés et exploités que ceux des études contrôlées ou des données très discutables de l’étude CNAMTS-Inserm. Cela fait plusieurs décennies que l’on constate, avec une certaine forme de résignation, le fossé abyssal entre le nombre de patients au contact de professionnels du soin (à peine plus de 100 000) et les 2 millions de personnes ayant des problèmes en lien avec une dépendance à l’alcool. Avec le baclofène, on disposait probablement pour la première fois d’un traitement créant une demande de soins venant de patients en grande difficulté et ayant souvent renoncé à demander de l’aide. Les polémiques stériles menées par quelques anti-baclofène de service, les positions ‘brutales’ de l’ANSM en juillet 2017 et les attitudes de certains professionnels de santé (liées à ces messages négatifsont probablement découragé des milliers de patients à demander et accepter un traitement par baclofène et surtout voir un professionnel de santé pour leurs problèmes d’addiction. C’est exactement l’inverse de ce qu’il aurait fallu faire. La RTU 2 (assouplissement des règles en mars 2017) était pourtant un bon signal. Les positions unanimes des Sociétés Savantes en juillet 2017 en était un aussi, même si plus en réaction.

Il faut désormais que les Autorités de Santé, ANSM en tête puis HAS, stimulées pas les ‘politiques’ responsables de la Santé Publique, donnent un nouvel élan. Une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) avec un accès non limité au médicament (posologie et type de prescripteurs), un appel à la coopération entre la médecine générale et le milieu spécialisé, un soutien vers la formation des médecins quel que soit le milieu d’exercice. Comme critère d’évaluation pour de futures études, utilisons le niveau de rétention des patients (combien sont-ils toujours dans le soin 6 mois, 1 an après ? comme on l’a fait pour les MSO), leur qualité de vie, le niveau de contrôle de leurs consommations (leur craving) et leur CDT et gamma-GT. Plutôt que des critères de consommations quotidiennes, au cours des semaines passées, les jours de fortes consommations etc…, qui finalement ne reflètent pas grand-chose et son difficiles à consigner.

Une opportunité comme celle du baclofène ne se représentera pas de sitôt ! A saisir, sinon il sera trop tard !

* : Simioni N, Preda C, Deken V, Bence C, Cottencin O, Rolland B. : Characteristics of Patients with Alcohol Dependence Seeking Baclofen Treatment in France: A Two­ Centre Comparative Cohort Study. Alcohol Alcohol. 2016 ; 51:664­669

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26988996

Mustapha Benslimane et Stéphane Robinet pour la rédaction du Flyer