41 cliniciens témoignent : « Le baclofène est un des meilleurs traitements de l’alcoolisme »

Paris Match || Mis à jour le Vanessa Boy-Landry

Interview. L’avenir du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme est en train de se jouer. L’avis négatif d’un comité indépendant, publié la semaine dernière par l’Agence du médicament, inquiète les médecins qui prescrivent efficacement la molécule à leurs patients. Dans une tribune*, ils sont aujourd’hui 41 cliniciens à témoigner de l’importance du baclofène dans la prise en charge des malades. Parmi eux, le Dr Xavier Aknine, médecin généraliste spécialisé en addictologie, prescrit la molécule en centre de soins depuis six ans à ses patients.

Paris Match. Pourquoi précisez-vous que vous n’êtes ni “pro” ni “anti” baclofène pour vous exprimer sur le sujet aujourd’hui?
Dr Xavier Aknine. Parce que nous ne sommes pas les défenseurs d’un médicament, nous ne sommes pas des partisans. Nous nous exprimons en tant que cliniciens sur la base de notre pratique de tous les jours avec nos patients. Nous nous sommes intéressés au baclofène car très peu de molécules sont efficaces dans l’alcoolisme. Nous voyons arriver beaucoup de malades désespérés, avec plein de complications liées à l’alcool, et qui n’avancent pas. On s’est dit que le baclofène pouvait avoir un intérêt.

Si le traitement baclofène était si nul, nous n’aurions pas attendu l’avis des experts pour arrêter de le prescrire!

Pourquoi prenez-vous la parole aujourd’hui ?
Nous sommes surpris par l’avis du comité d’experts qui juge “cliniquement insuffisante” l’efficacité du baclofène, et conclut à un “rapport bénéfice-risque défavorable”, au vu des effets indésirables, y compris des décès. Ce que nous observons dans la pratique ne correspond pas du tout à ces premières conclusions. Certes, nous avons des échecs avec le baclofène, mais nous voyons beaucoup de patients refaire surface, arrêter de boire, reprendre une vie correcte. Tout ne se limite pas au médicament, il y a de toute façon une prise en charge globale (psychothérapie) du patient, mais dans la grande majorité des cas, on arrive à une diminution de la consommation. Dire aujourd’hui que ce traitement serait inefficace et dangereux revient à dire, globalement pour nous, qui le prescrivons depuis des années, que nous n’avons rien compris ! Si ce traitement était si nul, nous n’aurions pas attendu la publication de cet avis pour arrêter de le prescrire, nous ne sommes pas complètement irresponsables ! Entre les études de l’Agence du médicament et la “vraie vie”, il y a souvent un décalage. C’est dans bien des cas la réalité clinique qui entraîne ensuite des modifications et des recommandations. Mais qu’il y ait une telle opposition entre les deux visions, cela paraît curieux.

Les gens ne savent plus si le baclofène est efficace ou dangereux.  En prenant la parole aujourd’hui, vous voulez aussi rassurer les patients ?
Oui car les informations contradictoires sont anxiogènes pour eux. Déjà l’année dernière, quand l’Agence du médicament (Ansm) a réduit la posologie à 80 mg, les patients qui prenaient des doses supérieures se sont parfois angoissés : “Est-ce que je prends des risques ?” Nous leur expliquons qu’il est dangereux de réduire brutalement les doses car ils risquent de faire une crise d’épilepsie, une décompensation de leur pathologie psychiatrique éventuelle… C’est de toute façon eux qui décident, mais nous leur conseillons de continuer le traitement aux posologies efficaces afin d’éviter la rechute dans la consommation d’alcool.

Sans remettre en cause les conclusions du comité, vous soulevez toutefois plusieurs questions sur l’expertise menée…
Pourquoi s’appuie-t-elle sur une étude dont la méthodologie est très controversée et pas sur une bonne étude, globalement favorable au baclofène (étude Baclad) ? Le comité reconnait l’action de la molécule sur le “craving” (besoin irrépressible de boire) mais ne considère pas comme probants les résultats de l’essai Bacloville (56,8% d’efficacité dans le bras baclofène contre 36,5% dans le bras placebo). Ces experts sont des épidémiologistes, des spécialistes du risque. Nous ne comprenons pas pourquoi, contrairement au comité précédent, il n’y avait aucun addictologue, aucun psychiatre, aucun généraliste pour évaluer ce médicament dans l’alcoolisme.

Le baclofène a permis de faire entrer dans le soin des milliers de patients

En tant que praticiens, vous témoignez que “probablement pour la première fois”, ce traitement fait entrer de nouveaux patients dans le système de soins…  
On s’est rendu compte que des patients qui n’avaient jamais consulté avant (parce qu’ils savent que les médicaments ne marchent pas vraiment) arrivaient parce qu’ils avaient entendu parler du baclofène ou qu’ils avaient lu le livre d’Olivier Ameisen. Le baclofène a permis de faire entrer dans le soin des milliers de patients qui ne seraient pas venus s’il n’y avait pas eu ce nouveau médicament. L’effet placebo est déjà là quand ils arrivent en consultation car ils sont persuadés que le médicament va leur apporter quelque chose. C’est tout à fait nouveau car vous ne verrez jamais quelqu’un vous demander de l’amoxicilline ou un médicament pour le diabète ! En général, on est plutôt obligé de convaincre, mais là ce sont les patients qui demandent. A nous d’expliquer et de recadrer afin qu’ils n’aient pas le sentiment que ce traitement est une baguette magique mais cette disposition chez eux, dès le départ, leur permet d’entrer dans le soin. C’est pour nous un fait important, mais complètement ignoré par le comité d’experts.

Est-ce un enjeu de santé publique important ?
Tout à fait. D’autant que l’on constate souvent un double déni dans la consultation d’un médecin généraliste: le patient ne parle pas de son alcoolisme pour ne pas décevoir son médecin traitant et ce dernier n’en parle pas au patient de peur de le froisser. Certains se retrouvent au stade de la cirrhose parce qu’ils n’ont pas pu en parler. Avec le baclofène, on peut voir arriver les patients avant le stade des complications. Quand on sait que 49000 décès chaque année sont liés à l’alcool, sans parler des cas de cirrhose, des violences intra familiales, des complications psychiatriques… C’est un enjeu énorme.

La particularité du baclofène est qu’il a été essentiellement promu par les malades. En quoi le travail réalisé par les associations de patients a été un apport pour vous?
Dans le traitement de l’alcolodépendance, on sait qu’il n’y a pas que la parole du médecin qui compte, mais ce qu’en disent les patients, notamment sur les effets indésirables du baclofène. C’est la parole réelle entre personnes qui vivent la même chose qui compte beaucoup pour eux, et qui leur donne confiance. L’association Baclofène, par exemple, a publié un ouvrage sur les effets secondaires. C’est une mine d’informations, y compris pour nous, médecins.

Nous espérons que toutes les voix, y compris celles des patients, seront prises en compte dans la décision

Après l’évaluation scientifique du comité d’experts, les acteurs de terrain seront auditionnés en juillet par les commissions de l’Ansm. Qu’attendez-vous des autorités de santé ?
Que l’Agence du médicament publie aujourd’hui cet avis négatif est pour nous inquiétant. Nous avons l’impression que c’est une manière de nous dire que la décision sur l’Autorisation de mise sur le marché du baclofène sera négative. Nous espérons que toutes les voix, y compris celles des patients, seront prises en compte dans les conclusions, et que seront interrogés les praticiens qui ont une réelle expérience du baclofène. Parmi les médecins, les retours négatifs sur le baclofène s’expliquent souvent par une mauvaise utilisation de la molécule. On sait que l’efficacité de la molécule dépend de la dose administrée et que l’on doit ensuite ajuster la posologie en fonction des effets indésirables ressentis par le patient.

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Pourquoi, comme vous l’écrivez dans votre tribune, on ne peut pas aujourd’hui priver les patients du baclofène ?
On a près de dix ans de recul aujourd’hui sur ce traitement. On ne peut pas laisser tomber les patients qui aujourd’hui en bénéficient. Nous ne voyons pas non plus pourquoi on devrait en priver les autres, sachant que les malades souffrent de conséquences graves liées à leur consommation d’alcool. De notre point de vue pratique, nous n’avons pas vraiment d’alternative aujourd’hui, en terme de médicaments efficaces. Il existera peut-être demain d’autres molécules, mieux tolérées et efficaces, mais en attendant, il ne faut pas se priver de cet outil qui a permis des résultats pour des dizaines de milliers de malades.

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