Alcoolisme et baclofène : une étrange affaire française

Jean-Yves Nau – Rev Med Suisse 2013;9:

Sans doute faudrait-il un œil étranger pour aider à mieux comprendre. De l’Hexagone une chose semble certaine : il se joue quelque chose d’important aujourd’hui, en France, dans le champ de l’alcoolisme et de son traitement. L’avenir dira si l’affaire résulte avant tout des rapports entretenus par la France avec cette addiction ;[1] ou s’il s’agit plus largement d’un nouveau chapitre, médicamenteux et international, de la lutte contre ce fléau. Il est vrai que les deux hypothèses ne sont pas contradictoires.

Depuis bientôt cinq ans, cette étrange histoire française porte le nom de baclofène. Ce médicament longtemps connu des seuls spécialistes du spectre neurologique est aujourd’hui consommé en France («illégalement» et à de très fortes doses) par plus de 50 000 personnes alcooliques. Prescrit, consommé et remboursé par la collectivité. Rappelons que la France compte deux millions de personnes alcooliques et que, par ailleurs, trois millions d’autres montrent des symptômes clairement évocateurs d’une assuétude en gestation avancée. La consommation globale nationale décroît en volume mais augmente chez les femmes et les plus jeunes. La «modération» ? La consommation moyenne réelle serait de 27 grammes par jour tandis que 6% de la population boit 40% de la totalité de l’alcool consommé. Quant aux bilans annuels des morts prématurées du fait de l’alcool, ils varient considérablement [2] selon les sources, les équipes, les présupposés et les méthodologies : soit entre 25 000 et 50 000. «Environ» cent morts par jour. Ce qui peut être au choix tenu pour une fatalité ou le prix à payer pour des péchés (ni avoués ni pardonnés). Ou encore pour un pur scandale de santé publique impliquant la responsabilité perverse d’un Etat qui fiscalise cette addiction et laisse les professionnels recommander de ne pas abuser.

Alcoolisme et baclofène : une étrange affaire française