« Après le livre d’Olivier Ameisen, j’ai décidé de créer une Consultation Baclofène » Dr Renaud de Beaurepaire

Mardi, 22 Avril 2014 – Euréka Santé – Écrit par Jean-Philippe RIVIERE

Depuis 2008, le Dr Renaud de Beaurepaire, psychiatre et chef de service à l’hôpital Paul Guiraud (Villejuif, Val-de-Marne), prescrit du baclofène à des personnes alcooliques pour tenter de diminuer leur addiction.

Dans cette première partie de l’interview qu’il nous a accordée quelques jours après la publication de la RTU (Recommandation Temporaire d’Utilisation) pour le baclofène, le Dr de Beaurepaire rappelle l’origine de son engagement en faveur de ce traitement.

VIDAL: Pourquoi êtes-vous devenu un pionnier de la prescription du baclofène?

Dr Renaud de Beaurepaire: Je connaissais Olivier Ameisen, qui m’avait suggéré de donner du baclofène à des patients. J’ai donc prescrit du baclofène à quelques patients dans les années 2006, 2007. En 2008 il a publié son livre (NDLR: « Le Dernier Verre« , Ed. Denoël) et dans ce livre, j’étais le seul médecin français prescripteur de baclofène qui était cité. En 2008, Ameisen ne prescrivait pas de baclofène, il n’avait pas les autorisations pour exercer la médecine en France. Donc ce qui s’est passé, c’est que lorsque le livre est paru en octobre2008 et qu’il a été vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires, les patients ont cherché mon nom sur internet, étant donné que j’étais le seul médecin cité et susceptible de leur prescrire ce traitement. Et ils ont commencé à m’appeler.Cela m’a mis dans une situation un petit peu compliquée dans le sens où je ne suis pas alcoologue, je suis psychiatre « standard » : je soigne surtout des déprimés, des bipolaires, des psychotiques, des schizophrènes, c’est ça ma clientèle habituelle, je suis médecin de secteur de psychiatrie. Donc j’ai été un petit peu pris de cours lorsque, tout à coup, des dizaines d’appels quotidiens sont arrivés dans mon service. C’est là que j’ai décidé, d’un accord collégial avec les secrétaires, avec le personnel soignant du service, comme cela se passe dans les services de psychiatrie où l’on prend des décisions collectivement, de créer une consultation Baclofène.

VIDAL: Comment s’est passée cette « Consultation Baclofène« , créée en novembre 2008 ?
Dr Renaud de Beaurepaire: Le mercredi, je ne voyais que des patients Baclofène. Une consultation bien remplie: au bout de quelques mois il y avait jusqu’à six mois de délai, c’est pour vous dire le nombre de demandes que l’on a eues. Voilà, c’est comme cela que cela a commencé. Ensuite, il y a eu de plus en plus de médecins qui ont prescrit du baclofène, de plus en plus de collègues qui nous ont donné leurs coordonnées. Ce qui fait que lorsqu’un patient appelait (ils appelaient de toute la France et même d’ailleurs de l’étranger), nous avons assez rapidement pu nous appuyer un petit réseau de prescripteurs. Par exemple, dans le Sud-ouest, il y avait quelques collègues qui prescrivaient, donc j’envoyais les patients à ces collègues là. J’ai également connu quelques personnes à Marseille, d’autres dans l’est de la France et assez rapidement, il y a eu un petit nombre de médecins prescripteurs à qui j’ai pu envoyer des patients. À Paris aussi, j’ai un certain nombre de collègues qui prescrivaient, donc j’ai envoyé beaucoup de patients à d’autres personnes mais je n’en ai pas moins continué moi-même à voir beaucoup de patients et j’en ai toujours: j’ai encore des délais de plusieurs mois pour voir les patients, c’est comme ça.

VIDAL: Pouvez-vous nous décrire quels types de patients vous avez traité avec du baclofène?
Dr Renaud de Beaurepaire: Au début, en tout cas lorsque j’ai commencé à prescrire du baclofène fin 2008, les patients qui venaient étaient toujours des patients qui essayaient de se soigner depuis de nombreuses années. Ils avaient donc eu les traitements habituels, ils avaient eu des cures, des psychothérapies, des liens avec des associations comme « les alcooliques anonymes« , etc. Donc tous les traitements habituels: mes patients des années 2008, 2009, 2010 étaient des patients qui étaient en échec avec les traitements habituels.

À partir de 2011, 2012, j’ai vu de plus en plus de patients qui n’avaient jamais eu de traitement pour leur alcoolisme, qui savaient que les traitements habituels étaient inefficaces et qui venaient me voir en me disant: je suis alcoolique depuis X années, je n’ai jamais cherché à me soigner parce que je sais (ou on m’a dit) que les traitements habituels sont inefficaces. Mais maintenant je vois qu’il y a un traitement efficace, donc je viens vous voir et je demande à être soigné pour mon alcoolisme avec le baclofène.

VIDAL: Combien de personnes dépendantes à l’alcool sont-elles traitées aujourd’hui par du baclofène?
Dr Renaud de Beaurepaire: On peut considérer aujourd’hui qu’il y a plus de 100000 patients alcooliques sous Baclofène et plus de 10000 médecins qui en prescrivent. Ce sont des chiffres très approximatifs mais à mon avis c’est de cet ordre-là. Cela a augmenté de façon très significative en 2012 et 2013. L’année 2014 vient de commencer donc on ne sait pas, mais à mon avis, la courbe exponentielle continue à s’élever.

Propos recueillis par Jean-Philippe Rivière le 27 mars à l’Hôpital Paul Guiraud (Villejuif).

Voir aussi sur Vidal.fr:
– « Baclofène : la recommandation temporaire d’utilisation (RTU) a été accordée. Modalités pratiques » (14 mars 2014)
– « Baclofène : analyses et recommandations du Comité technique de Pharmacovigilance de l’ANSM » (29 août 2013)
– « Baclofène et sevrage alcoolique : les essais cliniques se poursuivent » (29 mars 2013)