Baclofène dans l’alcoolisme: la voix des patients devant l’ANSM

Paris Match| Publié le 05/07/2018 à 13h40 | Mis à jour le 05/07/2018 à 13h48
Interview Vanessa Boy-Landry

Samuel Blaise, président de l’association Olivier Ameisen, auditionné le 3 juillet 2018 en commission d’évaluation du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme. Capture écran Dailymotion

La voix des patients a été entendue ce mardi 3 juillet dans le cadre de l’évaluation du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme. Interview de Samuel Blaise, président de l’association Olivier Ameisen, qui a participé au débat de la commission.

Le baclofène sera-t-il autorisé dans le traitement de l’alcoolisme ? Rien n’est moins sûr alors que l’Agence nationale du médicament (ANSM) publiait la semaine dernière l’avis défavorable du comité d’experts chargé d’évaluer le rapport bénéfice-risque de la molécule. Si l’expertise identifie l’action du baclofène sur le « craving » (besoin irrépressible de boire) du malade, elle reproche le manque de robustesse des résultats des études cliniques, et pointe le risque d’événements indésirables graves (y compris des décès) en particulier à des doses élevées.

L’heure était donc au débat ce mardi, puisque les membres de la commission d’évaluation ont entendu praticiens, sociétés savantes, et associations de patients. Ces auditions, retransmises en direct sur Dailymotion, marquent la dernière grande étape de l’instruction du dossier de la demande d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) déposée par le laboratoire Etypharm. L’avis de la commission sera publié d’ici peu, mais le dernier mot reviendra à Dominique Martin, directeur de l’Agence du médicament, en septembre.

La voix des patients

Président de l’association Olivier Ameisen, Samuel Blaise, délivré de son alcolo-dépendance en 2012 grâce au baclofène, a représenté avec d’autres, les patients. Une voix importante apportée au débat alors que les anciens malades sont les plus grands défenseurs du traitement depuis près de dix ans.

Paris Match. Quels principaux messages avez-vous pu transmettre lors de ce débat ?
Samuel Blaise. Nous avons pu expliquer le concept d’indifférence à l’alcool, cette faculté du baclofène de supprimer le « craving » chez le malade. S’agissant des effets secondaires, j’ai rappelé qu’ils sont nombreux et touchent 80% des patients, mais qu’ils ne sont pas graves. Ils sont gérables et supportables quand le traitement est bien encadré. Les membres ont bien compris, car nous l’avons tous martelé, la nécessité d’avoir un médecin formé et une alliance thérapeutique forte entre lui et son patient. Les deux acteurs doivent être bien engagés. Ces messages sont bien passés. Nous avons rappelé que nous réclamons une posologie plafonnée à 300 mg.

Vous considérez le baclofène comme un starter, un catalyseur. Cela veut dire que la molécule, seule, ne suffit pas à guérir ?
C’est un suppresseur de craving. Mais la guérison n’est pas la suppression du craving. C’est un long processus où l’on doit se réapproprier sa vie : son réseau social, amical, ses activités quotidiennes, toutes ces heures de la journée où l’on se retrouve en état de conscience… Il faut accepter son bilan, ses échecs, et se reconstruire. On peut avoir besoin d’un accompagnement psycho-social, médical.

Supprimer le craving chez le malade, c’est lui sortir l’alcool de la tête

Quel rôle joue la suppression du craving dans la prise en charge de l’alcolo-dépendant ?
Cela permet d’attirer les malades dans le système de soins. C’est une pompe aspirante. Une étude publiée en 2016 révèle que beaucoup de patients qui entrent dans le traitement baclofène sont « naïfs », c’est-à-dire qu’ils n’ont jamais essayé la moindre stratégie thérapeutique auparavant. Ils viennent, de plus en plus nombreux, d’eux-mêmes. Supprimer le craving chez un malade, c’est lui sortir l’alcool de la tête. Quand vous êtes dans l’abstinence, vous êtes dans le déni du craving : vous utilisez votre volonté, votre force, pour vous convaincre d’y résister. Quand vous prenez un médicament qui réduit le craving, vous acceptez le fait d’avoir l’envie pulsionnelle de boire, et vous l’atténuez : vous êtes toujours malade, mais cela se voit moins. Avec le baclofène, le craving n’existe plus. Imaginez ces trois profils de patients dans le cabinet d’un psychothérapeute. Le premier centrera tout son protocole thérapeutique sur l’alcool qui est son « démon ». Le deuxième expliquera qu’il essaye de contrôler son envie de boire, mais que l’alcool occupe encore une grande place dans sa vie. Le troisième entrera en disant : « c’est fini. »  S’ouvre alors une page de son histoire dans laquelle il entrera, pour analyser et poser des réponses, pour reconstruire sa vie. Il sera capable d’objectiver son rapport à l’alcool. C’est une position complètement différente.

Le rapport des experts, publié la semaine dernière, pointe le risque d’événements indésirables graves (y compris des décès)…
La seule dangerosité soulignée par les experts provient des big data. Dans ce genre d’études, la dangerosité du baclofène, c’est du « bruit » !  Cette étude conduite par la Caisse nationale de l’assurance maladie, irrecevable en raison de biais statistiques et méthodologiques, a d’ailleurs été unanimement contestée par la communauté médicale des sociétés savantes. Dans la « vraie vie », on prescrit depuis quarante-cinq ans ce médicament en neurologie dans le monde entier. La littérature scientifique atteste de prescriptions à hautes doses et sur de longues périodes, comme pour l’alcoolisme. Il n’y a pas eu la moindre alerte de pharmacovigilance. Même chose en France, depuis que la surveillance a été mise en place en 2012.  Enfin, l’étude sur les événements indésirables liées aux hautes doses (Baclophone), dirigée par le CHRU de Lille depuis 2016, nationale depuis 2017, n’atteste d’aucune dangerosité.

En septembre, l’Ansm annoncera sa décision. Quels sont les cas de figure possibles ?
Soit l’Agence croit que le baclofène est inefficace et dangereux et elle n’accordera pas d’AMM soit elle autorise une AMM à 300 mg avec la formation obligatoire des médecins, et un ensemble de conditions de sécurisation. Dans cette amplitude, on ne sait pas où l’Agence va placer le curseur.

Le message anxiogène de l’ANSM se solde déjà par la sortie des soins de 16 000 patients

Quelles conséquences d’une telle décision pour les patients ?
Suite à l’étude conduite par la Cnam, l’Agence a décidé, en juillet 2017, de réduire la posologie à 80 mg.  La communication de l’ANSM a été tellement anxiogène que près de 7000 patients sous baclofène sont sortis des soins sur le second semestre 2017. Pour le premier semestre 2018, ce sont 5 000 de plus. Ces chiffres sont issus de données de vente, mois par mois, des molécules dans l’alcoolisme. Sur onze années, ces données révèlent beaucoup de choses sur les stratégies industrielles des grands laboratoires, sur le jeu des sociétés savantes qui poussent ou freinent un médicament selon leurs liens d’intérêts… J’attends l’avis de la commission consultative pour orienter l’angle de l’article économique que je prévois de publier à partir de ces données. Le message anxiogène de l’Agence du médicament, en 2017, a impacté directement tous les médicaments de l’alcoolisme et se solde déjà par la désertion de 16 000 patients (tous traitements confondus) entre juillet 2017 et mai 2018. Un drame sanitaire inédit dans une indifférence glaciale…

Quand 10 000 ou 20 000 patients témoignent de l’efficacité du baclofène, les démonstrations sont faites

Vous vous êtes fait la voix de milliers de patients. Quelle est la valeur de ces témoignages quand la médecine fondée sur les preuves (l’Evidence Based Medicine) légitime l’efficacité des thérapeutiques sur la base des essais cliniques randomisés?
Dans l’EBM, il y a les démonstrations cliniques (les études en double aveugle), l’expertise du médecin, et l’expérience des patients. Ceux qui disent que des études robustes manquent sont en dehors de toute notion d’EBM ! En France, 250 000 patients ont entamé un traitement baclofène pour l’alcolodépendance. Quand 10 000 ou 20 000 patients témoignent qu’ils se sont soignés efficacement grâce au baclofène, les démonstrations sont faites. Nous réfutons cet argument de dire qu’il manque des études. Il en existe plein et de nouvelles arrivent. C’est le protocole d’une étude qui permet de savoir si on mesure l’efficacité d’une molécule ou si on décide de montrer qu’elle est inefficace. Aujourd’hui, la seule étude dont le protocole est adapté au bénéfice thérapeutique du baclofène, c’est Bacloville.

On reproche à l’essai Bacloville du Pr Jaury de ne pas être publié…
Les grandes revues n’osent pas prendre le risque de publier une telle étude car son design sort des clous. Elle est atypique et c’est pourtant la seule dont le protocole correspond à la réalité du traitement.

Lire aussi. 41 cliniciens témoignent : « Le baclofène est un des meilleurs traitements de l’alcoolisme »

Comment avez-vous ressenti les membres de la commission lors de cette audition ?
J’ai trouvé que la commission d’évaluation avait une écoute bienveillante. Ses questions étaient pertinentes. Je ne présage pas de l’avis qu’elle rendra. Surtout, que va faire l’ANSM de cet avis ? Le principe sécuritaire va-t-il finalement l’emporter, au détriment des malades ?

http://www.parismatch.com/Actu/Sante/Baclofene-dans-l-alcoolisme-la-voix-des-patients-devant-l-ANSM-1554305