Baclofène : deux études très positives et deux autres conçues pour échouer

LE PLUS. Sur quatre études, deux montrent que le baclofène est efficace dans le traitement de l’alcoolo-dépendance et deux ne montrent aucun bénéfice. Mais pour ces deux dernières, les protocoles sont dès le départ mal conçus. Qui veut la peau du baclofène ? Par Renaud de Beaurepaire, Samuel Blaise, Yves Brasey, Bernard Granger, Sylvie Imbert.

Édité par Paul Laubacher  Auteur parrainé par Anne Crignon

Les résultats des quatre grandes études randomisées contre placebo évaluant l’effet du baclofène dans le traitement de la dépendance à l’alcool ont été présentés le 3 septembre 2016 à Berlin lors du Congrès mondial sur l’alcool et l’alcoolisme organisé par l’International Society for Biomedical Research on Alcoholism (ISBRA). Les résultats de trois de ces études étaient nouveaux (études BACLOVILLE, ALPADIR et étude hollandaise), ceux de la 4ème étude, l’étude BACLAD, étaient connus depuis un an [1].

Les résultats de deux de ces études (BACLAD et BACLOVILLE) sont positifs (ils montrent une efficacité du baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance), ceux des deux autres études sont négatifs (aucun effet positif pour les objectifs principaux).

Une si faible chance de réussir

Ces résultats étaient parfaitement prévisibles. L’étude BACLAD avait montré que la dose moyenne de baclofène nécessaire pour traiter l’alcoolo-dépendance est de 180mg. C’est aussi la dose médiane, qui sépare en deux moitiés égales les patients répondeurs. Cette dose moyenne était du même ordre que celles retrouvées dans les études observationnelles [2,3].

Mettre en évidence qu’il est nécessaire de donner une dose médiane de baclofène autour de 180mg pour soigner l’alcoolo-dépendance signifie qu’environ la moitié des patients ont besoin d’une dose égale ou supérieure à 180 mg.

C’est la raison pour laquelle la recommandation temporaire d’utilisation accordée par l’Agence du médicament française et fondée sur l’expérience clinique des prescripteurs de baclofène admet des posologies quotidiennes allant jusqu’à 300 mg. Il arrive de prescrire des doses supérieures à 300 mg chez certains patients pour obtenir un résultat clinique satisfaisant.

Si la moitié des patients a besoin d’une dose égale ou supérieure à 180 mg, pouvant aller à 300 mg, voire plus, toutes les études dont la dose maximale est égale ou inférieure à 180 mg donnent nécessairement des résultats moins bons et biaisés, parce que la dose proposée est insuffisante pour près de la moitié des patients sous baclofène, qui auraient répondu s’ils avaient reçu des doses supérieures.

En d’autres termes, dans les études où la dose maximale est limitée à 180 mg, étant donné qu’il existe toujours un effet placebo de 20 à 35%, on donne une dose insuffisante à près de la moitié des malades, ce qui implique que même un effet positif dans l’ensemble de l’autre fraction des patients permettra très difficilement de différencier le groupe traité du groupe placebo. On sait donc, dès le départ, que les résultats de ces études seront vraisemblablement négatifs car les protocoles sont mal conçus.

Or la dose maximale d’ALPADIR était de 180mg et la dose maximale pour l’étude hollandaise était de 150 mg. Ces études ne pouvaient qu’échouer, surtout si l’on ajoute que 40 % des patients de l’étude ALPADIR n’ont pas terminé l’étude, ce qui diminue encore plus la puissance de cette étude, dont les résultats deviennent ininterprétables. A contrario, étant donné que la dose maximale de l’étude BACLOVILLE était de 300mg, cette étude avait de fortes chances d’être un succès. Si bien que la question que posent l’étude ALPADIR et l’étude hollandaise, ce n’est pas la raison pour laquelle les résultats de ces études sont négatifs, la question qu’elles posent est la suivante : pourquoi ces études ont-elles été conçues avec une si faible chance de réussir ?

Une question volontairement occultée

L’instillation du doute est une technique industrielle bien connue pour déconsidérer des données scientifiques incontestables. Avec cette série des quatre études, on a l’impression que l’histoire est en train de se répéter, que le même objectif est atteint : le baclofène est un traitement qui donne des résultats variables selon les études, c’est un traitement controversé. On occulte volontairement la question de la dose. Et on demande des études complémentaires. Comme si l’important était de remettre à plus tard la reconnaissance du baclofène dans le traitement de l’alcoolisme. Les malades peuvent bien mourir, c’est accessoire.

Qui a intérêt à ce que les choses se passent ainsi? L’analyse des commentaires de certains collègues, ou de sociétés savantes, ainsi que les conditions d’apparition du baclofène comme traitement de l’alcoolisme suggèrent des pistes de réponse.

Rapidement après la présentation des résultats des grandes études le 3 septembre dernier, des médecins ont exprimé dans les médias leurs doutes sur l’efficacité du baclofène. Par exemple le Pr M. Reynaud et le Dr P. Batel ont tenu des propos minimisant les effets du baclofène, disant que le baclofène n’est pas supérieur aux autres traitements, qu’il est efficace selon certaines études mais pas selon d’autres, mettant sur le même plan les études à fortes et à doses moyennes, contestant même l’intérêt des fortes doses. Sont-ils ignorants au point de méconnaître la question de la dose ou s’obstinent-ils à entretenir le doute ?

Un charabia qui noie le poisson et nie l’évidence

Le discrédit le plus exemplaire du baclofène est probablement celui du « Communiqué de presse concernant les études baclofène » publié par la SFA (Société Française d’Alcoologie) le 19 septembre 2016, signé par le président de la SFA, le Pr M. Naassila. S’interrogeant sur l’origine des différences de résultats entre les études, il est proposé dans le communiqué que celles-ci pourraient être liées à plusieurs facteurs : patients dépendants ou non, patients sevrés en alcool ou non, consommation d’alcool avant traitement, existence ou non d’un soutien psychosocial. Rien sur les doses, sauf, à la fin du communiqué :

« On peut d’ailleurs s’interroger au vu des résultats, sur la réalité de la relation entre la dose et l’efficacité du Baclofène. Cette relation n’apparaît finalement pas clairement dans les 3 études où elle a été calculée (non disponible pour BACLOVILLE). On peut donc se demander si l’utilisation de fortes voire de très fortes doses est toujours nécessaire, en particulier chez des patients qui seraient davantage répondeurs et pourraient bénéficier de ce type d’approche même à des doses modérées ».

Autrement dit, un charabia qui noie le poisson et nie l’évidence : le baclofène est efficace dans les études où il peut être prescrit à doses suffisantes (le traitement doit être adapté à chaque patient, qui répond à une dose donnée, faible ou forte, qui est la sienne) et pas dans celles ou les doses maximales sont trop faibles. Et le communiqué de conclure : « il reste encore beaucoup à faire… », c’est-à-dire que la SFA attend des études complémentaires.

On instille le doute, on repousse à plus tard… Toute la stratégie des industriels qui veulent discréditer des données scientifiques incontestables est là. Un membre de la SFA, l’alcoologue suisse J.-B. Daeppen, dans une interview au journal Le Matin dimanche (le 25/09/16), va d’ailleurs plus loin :

« Ce que démontrent ces études est plutôt le peu d’efficacité du Baclofène ».

Comment expliquer de telles déclarations toujours hostiles malgré des essais qui confirment l’efficacité du baclofène dans l’addiction à l’alcool ?

Les liens d’intérêts massifs et privilégiés de la SFA

Les réponses sont de plusieurs ordres et sont en rapport avec des liens d’intérêts, la mentalité du microcosme de la SFA, l’absence d’une pratique médicale centrée sur le patient.

La SFA en tant que société savante et ses dirigeants, dont le Pr Daeppen cité ci-dessus, ont des liens d’intérêts massifs et privilégiés avec le laboratoire Lundbeck. Ce laboratoire possède un produit appelé nalmefène (Sélincro), d’une famille thérapeutique et d’un mode d’action différents de ceux du baclofène. Le nalmefène a été développé alors que le baclofène faisait irruption dans le paysage pharmacologique de l’alcoolo-dépendance. Il a été commercialisé en septembre 2014 en France.

Il faut ajouter que ce produit a peu d’efficacité et que certains pays ont refusé de l’admettre dans leur pharmacopée, comme encore dernièrement l’Australie, dont les autorités sanitaires considèrent que « son efficacité clinique ne peut être déterminée ». L’enjeu commercial pour Lundbeck est donc considérable et le laboratoire a tout intérêt à doper les ventes du nalmefène, bien qu’il en connaisse la faible efficacité. Cela passe d’une part à travers des actions pseudo scientifiques à visée commerciales via les prises de position des leaders d’opinion, et nécessite d’autre part de dénigrer le baclofène, qui menace ses parts de marché.

L’origine de leur fâcheuse méprise

La SFA reçoit des financements du laboratoire Lundbeck depuis des années car dans le cadre du lancement du nalmefène ce laboratoire a financé la SFA par des subventions directes, en participant aussi de façon substantielle au financement des journées annuelles de la SFA et en finançant aussi en partie la mise au point de recommandations édictées par la SFA parues quelques trois mois après la commercialisation du nalmefène, dont ces recommandations disent évidemment grand bien, malgré toutes les critiques dont ce produit a fait l’objet de la part d’évaluateurs indépendants.

Les dirigeants de la SFA ont des liens multiples avec Lundbeck comme cela peut se vérifier sur le site transparence.sante.gouv.fr. On y trouve des pages entières d’avantages et de conventions en faveur du président de la SFA, de ses prédécesseurs, les Prs H.-J. Aubin et F. Paille. Sur les 23 membres de son bureau et de son conseil d’administration, seuls trois n’ont aucun lien d’intérêt avec Lundbeck. Il faut ajouter que les liens avec d’autres laboratoires sont quasi inexistants.

Les auteurs de cette tribune se refusent à penser que des liens d’intérêt aient pu motiver telle ou telle réaction publique, tel ou tel article à prétention scientifique. Ils n’osent pas imaginer que des médecins pour certains universitaires puissent s’abandonner à de telles pratiques déshonorantes. Les auteurs préfèrent se convaincre que seule l’ignorance de la juste prescription du baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance est à l’origine de leur fâcheuse méprise.

Qui a défendu le baclofène ?

Mais, l’ignorance ou les conflits d’intérêt ne sont pas le seul moteur de ces mauvaises pratiques scientifiques. Les figures de proue de l’addictologie n’ont jamais pardonné à un simple malade de l’alcool, fût-il aussi médecin cardiologue, d’avoir fait une découverte déterminante dans leur domaine, les renvoyant à leurs maigres résultats. Il faut se souvenir comment Olivier Ameisen a été contesté, brocardé, insulté. Il n’était lui-même pas tendre, mais on peut le comprendre : il voyait une avancée médicale importante bloquée avec des arguments parfois pitoyables. Le Dr P. Batel n’a-t-il pas été jusqu’à dire dans « Le Parisien » que si Olivier Ameisen avait le prix Nobel, ce serait celui de littérature (sic).

Aucun laboratoire pharmaceutique n’était derrière cette utilisation nouvelle et prometteuse du baclofène, un médicament génériqué, donc sans plus-value commerciale. Cette utilisation est passée par des voies inhabituelles et désintéressées. Qui a défendu le baclofène dans le sillage d’Olivier Ameisen ? Des médecins n’appartenant pas au sérail de l’alcoologie (tous les addictologues n’ont pas eu la même attitude, heureusement).

Ce sont d’abord un médecin des hôpitaux psychiatriques et un professeur de médecine générale, puis des généralistes, des psychiatres, des hépatologues, jusqu’à des membres de l’Académie de médecine. Il faut souligner aussi la clairvoyance de certains journalistes, notamment au « Nouvel Observateur » (1), à « Sciences et Avenir » et à « Paris Match ».  Ce sont surtout des patients et leurs associations. Il faut voir comment Olivier Ameisen en premier lieu, des milliers d’autres patients ensuite, ont été ridiculisés par ces savants officiels, qui auraient pu repérer l’intérêt du baclofène dans l’alcoolisme et auraient dû encourager son utilisation s’ils avaient fait consciencieusement leur travail.

Piètres comportements, sinistres réflexes de boutiquiers !

Ce progrès médical a aussi remis en cause certaines conceptions et pratiques bien ancrées, le dogme de l’abstinence, la vertu de la seule psychothérapie, les cures et post-cures, etc. Cette découverte a aussi fait craindre à certains pour leur avenir, car ils avaient l’impression d’être dépossédés de leurs patients, qui soudain allaient « guérir ». Piètres comportements, sinistres réflexes de boutiquiers !

Finalement, l’erreur la plus grave de ceux qui ont rejeté cette découverte n’est-elle pas d’avoir méprisé la parole des malades ? Ils ont privilégié leurs intérêts et se sont drapés dans leur paternalisme. Comme le disait le Pr Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, dans son introduction à la journée organisée à Cochin le 17 septembre dernier pour parler des résultats de ces différentes études, « l’establishment s’est senti blessé ».

Olivier Ameisen a souffert d’ostracisme, de mépris, de quolibets. Pourtant le baclofène illustre « la vraie médecine personnalisée », celle où le malade sait mieux que quiconque les effets du médicament et peut en maîtriser l’usage. C’est ce qu’ont compris ceux qui utilisent avec succès depuis des années le baclofène pour et surtout avec les patients.

Par :

  • Renaud de Beaurepaire, psychiatre, chef de service à l’hôpital Paul Guiraud (Villejuif)
  • Samuel Blaise, président de l’association Olivier Ameisen
  • Yves Brasey, vice-président de l’association Baclofène
  • Bernard Granger, professeur de psychiatrie, université Paris Descartes
  • Sylvie Imbert, présidente de l’association Baclofène

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