Baclofène et alcoolisme : une étude juge son usage « prématuré »

Par Camille Gaubert le 27.02.2018 à 18h29

Une nouvelle étude juge « prématuré » l’usage du baclofène dans l’alcoolisme après avoir analysé 12 publications concluant à une équivalence avec le placebo sur la plupart des critères. Des résultats en réalité relativement prévisibles au regard des connaissances actuelles.

Alors que l’Agence du médicament (ANSM) examine actuellement la pertinence d’octroyer une autorisation de mise sur le marché (AMM) officielle au baclofène dans le traitement de l’alcoolodépendance, une méta-analyse publiée lundi 26 février 2018 dans la revue spécialisée Addiction semble suggérer que son efficacité ne serait pas supérieure au placebo, à l’exception des chances d’abstinence en fin de traitement, significativement augmentées sous traitement. Un résultat qui incite les chercheurs à conclure que le baclofène doit encore faire ses preuves en termes d’efficacité. Pourtant, les 12 études qu’ils ont examinées semblent avoir toutes utilisé une dose de baclofène bien inférieure à celle que ses partisans clament comme étant nécessaire à leur efficacité.

Un médicament efficace seulement à hautes doses : le casse-tête du rapport bénéfice/risque du baclofène

Le baclofène était initialement indiqué comme relaxant musculaire dans le cadre des contractures accompagnant la sclérose en plaques. Mais depuis qu’en 2008 feu le Dr Olivier Almeisen expliquait dans un livre avoir guéri de son alcoolisme sévère grâce à la prise quotidienne de baclofène à haute dose, de nombreuses personnes n’ont pas hésité à avaler une vingtaine de comprimés de 10mg chacun par jour. Deux études, Bacloville et Alpadir, ont depuis respectivement montré une efficacité et une égalité avec le placebo dans l’abstinence chez les alcoolodépendants. Des résultats divergents qui s’expliqueraient, selon des experts, par une dose quasiment doublée entre l’étude la moins favorable (Alpadir, qui prévoyait une dose maximale de 180 mg/jour) et celle qui a constaté une efficacité (Bacloville, qui avait fixé la limite à 300 mg/jour). Problème : la dose qui semblait efficace était aussi celle à laquelle apparaissaient des effets indésirables graves. Une augmentation des décès et des hospitalisations a ainsi forcé l’ANSM à limiter la dose quotidienne de baclofène à 80mg/jour depuis juillet 2017 dans le cadre de la Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) dont il bénéficie, en attendant de pouvoir statuer sur la dose apportant le meilleur rapport bénéfice/risque pour, peut-être, obtenir une AMM.

12 études utilisant le baclofène à faible dose concluent à une faible efficacité

Au regard de cet historique singulier, il n’est donc sans doute pas si étrange que les récents travaux des Drs Abi Rose et Andy Jones, de l’Université de Liverpool, aient conclu à une équivalence du baclofène et du placebo sur presque tous les critères examinés, comme l’envie irrésistible de boire (« craving »), l’anxiété ou la dépression, ou encore la réduction du nombre de jours sans alcool. En effet, 9 études sur 12 avaient utilisé le baclofène à des doses allant de 30 à 60 mg/jour, et les 3 autres à une dose maximale d’excédant pas 180mg/jour, soit des doses compatibles avec son indication en tant que myorelaxant dans la sclérose en plaques, mais bien inférieures à celles qui ont démontré une efficacité dans Bacloville (300mg/jour). « Les essais existants diffèrent (…) sur un certain nombre de facteurs, tels que la dose de baclofène administrée et la durée du traitement« , concède le Dr Rose à l’AFP. En effet, confirment les auteurs, des études individuelles suggèrent que l’efficacité du baclofène dépend de la dose administrée.

Autre biais de la méta-analyse : le nombre de patients dans chaque étude. Car si les douze essais examinés étaient méthodologiquement solides sur beaucoup de points, ils incluaient peu de patients. En effet, là où Bacloville et Alpadir portaient sur 320 patients chacune, les études observées dans cette nouvelle méta-analyse ne dépassaient les 100 patients inclus que dans 3 d’entre elles. Le Dr Rose admet d’ailleurs auprès de l’AFP que le « nombre limité de patients« , était « peut-être trop petit pour trouver un effet » du baclofène.

META-ANALYSES. Une méta-analyse est une étude compilant et analysant les résultats de précédentes études portant sur un même sujet, notamment à l’aide de calculs statistiques. Ce type de travaux est particulièrement utile pour estimer le sens global vers lequel vont les preuves scientifiques à un moment donné. Elles sont cependant toujours à prendre avec précautions, car leur solidité varie en fonction de l’accumulation de biais méthodologiques différant entre les études observées.

Un résultat positif malgré tout sur les chances d’abstinence en fin de traitement

Un critère est cependant ressorti positif pour le baclofène, même à ces doses et sur peu de patients. « En examinant les taux d’abstinents à la fin du traitement, il y avait un effet positif du baclofène ; les participants sous baclofène étaient 2,67 fois plus susceptibles d’être abstinents à la fin du traitement que ceux sous placebo« , détaillent les auteurs dans cette recherche. Les chercheurs précisent qu’il faut traiter 8 personnes avec du baclofène pour qu’une devienne abstinente. En revanche, aucun avantage du baclofène n’a été observé par rapport au placebo sur les autres critères. Ainsi, le baclofène n’augmente pas les jours d’abstinence et ne diminue pas le nombre de jours de consommation excessive pendant le traitement, critères souvent utilisés pour déterminer l’efficacité du traitement. Il n’a pas non plus permis de réduire les taux d’envie d’alcool, d’anxiété ou de dépression, selon cette étude. Il est cependant possible que des essais cliniques comparatifs plus grands et bien conçus mettent en évidence les moyens d’utiliser le baclofène de façon efficace pour les troubles liés à la consommation d’alcool, « au moins » dans certains groupes de patients, concluent les auteurs, bien qu’ils considèrent que l’utilisation actuelle croissante de baclofène comme traitement pour les troubles liés à l’alcool est « prématurée« . En espérant que des doses efficaces à un rapport bénéfice/risques acceptable existent bien, ce que l’effet positif sur le taux d’abstinence en fin de traitement semble suggérer.

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