Baclofène limité à 80mg/jour : une perte de chance pour les malades selon les addictologues

Saint-Denis, France – Comme nous l’annoncions le 12 juillet , les Autorités de santé viennent de réviser à la baisse la dose maximale autorisée de baclofène. « A compter du 24 juillet 2017, la RTU ne permet plus de prescrire du baclofène à des posologies supérieures à 80 mg/jour » informe l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) dans un communiqué [1]. Cette décision – qui fait suite aux résultats de l’étude Cnamts-INSERM portant sur les données de sécurité clinique du baclofène sur la période 2009-2015 – est contestée par les médecins spécialistes de la molécule qui y voient un danger pour les nombreux patients équilibrés par des doses élevés de baclofène. Ils s’en sont émus au travers de tribunes envoyées aux journaux et aux Autorités de santé dans lesquelles ils proposent une « voie du milieu » plus adaptée à la réalité du terrain [2,3].

Réduction progressive de la posologie par paliers

L’ANSM a tranché. Compte-tenu du risque accru d’hospitalisations et de décès chez les personnes qui se sont vues prescrire un traitement à plus de 80 mg de baclofène par jour, l’Agence du médicament réduit la dose maximale prescrite.

«Pour sécuriser l’utilisation du baclofène chez les patients alcoolo-dépendants», à compter du 24 juillet 2017, la RTU ne permet plus de prescrire du baclofène à des posologies supérieures à 80 mg/jour (contre 300 mg/jour auparavant). Un courrier a été adressé aux professionnels de santé afin de les informer de cette nouvelle mesure et des précautions particulières à prendre autour de cette prescription. « L’ANSM demande que les patients en cours de traitement qui recevraient des doses supérieures à 80 mg/jour soient revus par leur médecin afin d’initier une réduction progressive de la posologie par paliers (réduction de 10 ou 15 mg tous les 2 jours) pour éviter tout risque de syndrome de sevrage et qu’ils soient suivis de façon rapprochée, jusqu’à stabilisation de la posologie » [1].

Une décision basée sur une étude pharmaco-épidémiologique

Loin de faire l’unanimité, cette décision s’appuie sur une étude au protocole contestable et contestée par les addictologues spécialistes de la prescription du baclofène. Sont notamment reprochés à ce travail pharmaco-épidémiologique – dont les auteurs ne sont pas connus –, le fait qu’il ait été réalisé essentiellement avant la mise en place de la RTU, qu’il se base sur des données de remboursement, ou encore qu’il sépare les patients en 3 groupes « alors que l’on sait que les dosages du baclofène varient dans le temps » commente le Pr Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université Paris Descartes et responsable du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Tarnier (Paris).

Limiter à 80 mg : une perte de sens et une perte de chance

L’application drastique par l’ANSM du principe de précaution fondée sur une étude de sécurité au protocole jugé nébuleux a donc fait bondir les spécialistes du baclofène. Ces derniers sont montés à la tribune, individuellement  et collectivement  pour réclamer un assouplissement de la mesure, sur la base de l’argumentaire suivant :

-primo, face à l’alcool, fléau aux conséquences sanitaires et sociales considérables, le baclofène constitue un progrès thérapeutique significatif (dans un domaine où l’offre est réduite) ;

-secundo, c’est un traitement ayant de nombreux effets indésirables (connus) mais qui donne des résultats appréciables chez un certain nombre de patients;

-tertio, « chez beaucoup de patients, arrêter à 80 mg ne correspond à aucune réalité clinique et perd de son sens (les deux tiers environ des sujets traités dans des centres d’addictologie spécialisés sont au-delà de ces doses) ».

En résumé, les experts dénoncent une option « one size fits all » qui pourrait s’avérer totalement contre-productive. « L’expérience clinique et les données scientifiques montrent […] que le baclofène est actif à des doses en moyenne autour de 150 à 180 mg, affirment les addictologues signataires* ainsi que le Pr Didier Sicard, président d’honneur du Comité consultatif et soutien de longue date de cette molécule atypique, dans une missive adressée au Ministère de la Santé, à l’ANSM et aux médias. La décision de l’ANSM, faite sans concertation avec les spécialistes de terrain, ne nous paraît donc pas adaptée : elle est source d’une perte de chance pour de nombreux patients ».

En clair, « c’est une mesure dangereuse pour les patients qui sont équilibrés par des doses supérieures à 80 mg » alerte le Pr Granger.

La décision de l’ANSM, faite sans concertation avec les spécialistes de terrain, ne nous paraît donc pas adaptée : elle est source d’une perte de chance pour de nombreux patients Les signataires

Demande d’assouplissement

Dans leur lettre ouverte, les spécialistes du baclofène demandent à l’ANSM une « recommandation plus souple et plus conforme à l’intérêt des patients », à savoir permettre des prescriptions de baclofène aux médecins tout-venant jusqu’à 80 mg ET « des prescriptions à des posologies supérieures à 80 mg, mais encadrées et pratiquées par des spécialistes en addictologie et psychiatrie ayant l’expérience de ce médicament, et par les médecins généralistes formés à sa prescription ».

« Une stratégie raisonnable » que prône aussi à titre individuel Michel Reynaud, professeur émérite de psychiatrie et d’addictologie à l’université Paris Sud (également signataire de la lettre commune), et que l’on peut voir comme une voie du milieu laissant toutes leurs chances de guérison aux patients qui nécessitent des doses élevés (et supportent bien le médicament) tout en contrôlant mieux les risques. De quoi (peut-être) dépassionner le débat.

*Amine Benyamina, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’université Paris Sud ; Olivier Cottencin, professeur de psychiatrie et d’addictologie à l’université de Lille ; Maurice Dematteis, professeur d’addictologie à l’université de Grenoble ; Philip Gorwood, professeur de psychiatrie à l’université Paris Descartes ; Bernard Granger, professeur de psychiatrie à l’université Paris Descartes ; Philippe Jaury, professeur de médecine générale à l’université Paris Descartes ; Christophe Lançon, professeur de psychiatrie à l’université Aix-Marseille ; Michel Reynaud, professeur émérite de psychiatrie et d’addictologie à l’université Paris Sud; Benjamin Rolland, maître de conférences en addictologie à l’université Lyon 1 ; Didier Sicard, professeur émérite à l’université Paris Descartes, président honoraire du comité consultatif national d’éthique ; Nicolas Simon, professeur de pharmacologie à l’université Aix-Marseille ; Florence Thibaut, professeur de psychiatrie à l’université Paris Descartes.

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