Réponse de Bernard Granger à Philippe Lechat

Chers collègues, mesdames, messieurs,

L’immédiateté de la réponse du professeur Lechat à mon courriel du 28 mars dernier montre l’utilité de porter sur la place publique le rôle de l’Afssaps et du ministère de la Santé dans l’affaire du baclofène.

Je retiens de son courrier que les résultats de ce traitement à hautes doses dans la dépendance alcoolique sont pour monsieur Lechat « très prometteurs », mais que des principes règlementaires empêchent qu’il soit mis plus facilement à la disposition des nombreux patients qui pourraient en bénéficier. Cela m’amène à m’interroger sur la pertinence de ces règlementations.

Ainsi, le professeur Lechat m’explique que l’avenir de la thérapeutique dépend du bon vouloir des laboratoires pharmaceutiques. L’Agence est donc un effecteur au service de l’industrie car elle ne saurait se saisir seule des problèmes de santé publique (il n’est pas question avec l’alcoolisme d’une maladie rare mais d’un fléau social de grande ampleur). Pourtant, il n’est point besoin d’industriel pour retirer des indications ou pour ajouter des contre-indications. Je connais la loi, mais je sais aussi que des aménagements existent pour peu que l’on veuille faire avancer ce dossier. La balle est dans le camp de l’Agence et du ministère, contrairement à ce que monsieur Lechat laisse entendre dans son courrier.

La gestion des indications par l’Agence est obsolète. Le laboratoire titulaire de l’AMM était précédemment fortement impliqué dans l’évolution et le suivi de son produit. Depuis l’avènement des génériques, cette implication est terminée, et vous le savez comme moi. Vous savez donc aussi qu’il y a peu de chance qu’un laboratoire dépose et finance une demande d’extension d’AMM ou s’associe à une recommandation temporaire d’utilisation pour un produit tombé dans le domaine public. Cela montre à quel point la règlementation est plus soumise aux intérêts des firmes privées qu’à l’intérêt des malades. Au passage, je regrette, comme vous sans doute, l’attitude peu éthique des deux laboratoires concernés aujourd’hui par le baclofène.

De plus, vos tergiversations favorisent les laboratoires qui développent des molécules brevetées pour traiter l’alcoolisme et qui craignent la généralisation de l’usage du baclofène. Je ne vous ferai pas l’insulte de vous croire complices de ces lobbies, mais je vous invite à réfléchir à l’image que ce retard donne de l’Agence du médicament alors qu’elle cherche à reconquérir sa crédibilité.

Il y a un point sur lequel j’insiste dans chacun de mes courriers et auquel il n’est jamais apporté de réponse. L’avis de l’Afssaps de juin 2011, qui est une « mise en garde » dissuasive, a été élaboré après une réunion d’experts de février 2011. Certains de ces experts avaient des conflits d’intérêts majeurs, raison pour laquelle il faut la considérer comme entachée de parti pris. Dans un courriel du 19 juillet 2011, dont monsieur Maraninchi, directeur général de l’Afssaps, et madame Christelle Ratignier, membre du cabinet de monsieur Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, ont eu copie, le professeur Lechat m’assurait que l’Afssaps allait « faire le point avec le service déontologie de l’agence sur les conflits d’intérêt » des participants à cette réunion. Cela a-t-il été fait, et si oui, qu’a dit le service de déontologie ? Le professeur Maraninchi n’a pas hésité en décembre dernier à annuler la publication d’une recommandation concernant les infections respiratoires hautes, sur l’argument de conflits d’intérêts patents entre les experts et l’industrie des antibiotiques. Il s’agissait d’après lui d’une position de principe.

Je demande donc, avec une extrême insistance, que la mise garde de l’Afssaps de juin 2011 soit retirée. Il conviendrait aussi que l’Agence réunisse rapidement un groupe d’experts dépourvus de conflits d’intérêts pour mettre au point un nouvel avis tenant compte des données actuelles de la science, qui ne sont plus celles de juin dernier.

Certes, je sais que chaque médecin peut continuer à prescrire le baclofène hors AMM. Néanmoins, après la mise en garde publiée en juin dernier, le prescripteur agit à ses risques. La situation actuelle est donc source d’un sous-usage du baclofène préjudiciable à la santé de nombreux patients en grand danger.

Avec mes sentiments dévoués.

Pr Bernard Granger.

En réponse au courriel de P. Lechat 

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